1737-06-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

Je vous traite mon cher abbé comme le diable de Papefigue, je ne cesse de vous accabler de commissions.

L'affaire de Bouillé Menard a fini par une délégation de Mr de Richelieu. La proposition du payement de la pension à mr Paris de Montmartel, la petite lettre à écrire dans quelques temps à mr de Leseau, le payement des mille livres de Dumoulin etc. Hebert. Voylà bien du temporel.

A L'égard du spirituel, visite à mr de Fontenelle, et explication sur ce qu'on entend par la propagation du feu, pièces qui ont été présentées pour les prix à l'académie des sciences, petits miroirs pour faire une expérience. C'est encor de la besogne.

Je voudrois que vous engageassiez le marchand de ces petits miroirs à les reprendre quand on s'en sera servi, et à fournir un grand miroir ardent convexe des deux côtez et porté sur son pied.

Mais voicy une autre négociation de savant où il faut s'il vous plait que vous réussissiez, et surtout mon cher abbé que je ne sois point deviné.

Les raisoneurs au nombre des quels je m'avise quelquefois de me fourer, disputent si le feu est pesant ou non. Mr Lemery dont vous m'avez envoyé la chimie prétend (chapitre 5) qu'après avoir calciné vingt livres de plomb, il les a trouvées augmentées de 5 livres, en les repesant après la calcination. Il ne dit point s'il a pesé ou non la terrine dans la quelle cette calcination a été faitte, s'il est entré du charbon dans son plomb; il suppose tout simplement, ou plutôt tout hardiment, que le plomb s'est pénétré de particules de feu qui ont augmenté son poids. Cinq livres de feu, cinq livres de lumière, cela est admirable! et si admirable que je n'ose le croire.

D'autres personnes ont fait des expériences dans la vue de peser le feu. Ils ont mis, de la limaille de cuivre et de La limaille de'étain dans des retortes de verre bouchées hermétiquement. Ils ont calciné cette limaille, et ils l'ont trouvée augmentée de poids.

Une once de cuivre a aquis 49 grains.

Une once d'étain a augmenté son poids de 4 grains.

L'antimoine calciné aux rayons du soleil par le verre ardent a aussi dit on augmenté de poids entre les mains du chimiste Homberg.

Je veux que toutes ces expériences soient vrayes, je veux que les matières dans lesquelles on tenoit les métaux en calcination n'aient point contribué à augmenter le poids de ces métaux. Mais moy qui vous parle j'ay pesé plus d'un milier de fer tout rouge et tout enflammé, et je l'ay ensuite pesé refroidy. Je n'ay pas trouvé un grain de différence. Or il seroit bien singulier que vingt livres de plomb calcinées pesasent cinq livres de plus, et qu'un milier de fer ardent n'aquit pas un grain de pesanteur.

Voylà mon cher abbé ce qui me tient en échec depuis près d'un mois. Voicy maintenant la grâce que je vous demande. Transportez vous chez votre voisin le sieur Geofroy, apoticaire de L'académie des sciences. Liez conversation avec luy au moyen d'une demi livre de quinquina que vous luy acheterez et que vous m'enverez.

1º ayez la bonté de luy demander s'il a fait L'expérience raportée par Lémery, chapitre 5, et s'il a trouvé que 20 livres de plomb calciné pèsent 25 livres.

2º s'il a vu les expériences de L'antimoine au verre ardent, si L'antimoine acquiert du poids en se pénétrant des rayons du soleil, et si aucune matière étrangère ne s'y mêle.

3º s'il a vu et s'il a fait les expériences du cuivre et de L'étain dans des retortes de verre.

Vous êtes un négociateur très habile. Vous saurez aisément ce que mr Geofroy pense de tout cela, et vous m'en manderez des nouvelles, le tout sans me comettre le moins du monde. Cela fait, il faudroit m'avoir 1º un excellent termomètre, un baromètre, les plus longs sont les meilleurs.

2º deux terrines qui résistent au feu le plus violent, et qui puissent tenir 8 ou x livres de plomb chacune, ou plus s'il se peut.

3º 4 creusets cela se vend à la halle, il n'y a qu'une boutique où on les trouve.

4º deux petites retortes de verre.

Toutte cette fragile marchandize sera en sûreté quand elle sera bien embalée par votre embaleur.

Mais tout cela coûte direz vous, et il faut encor envoyer un joli secrétaire par le coche. Et où prendre de L'argent? Où vous voudrez mon cher abbé. On a des actions, ou en fond, et il ne faut jamais rien négliger de son plaisir pour ce que la vie est courte.

Adieu, je seray à vous pendant cette courte vie.

V . . . .

Autre prière c'est d'envoyer deux Henriades reliées à Rouen, non pas à mr de Leseau, mais à mr de Cideville, et à mr Formont.

Et si vous voyez Praut, dites luy qu'il devroit bien mettre son nom au frontispice. Bien des gens cherchent la nouvelle édition de la Henriade, et ne savent pas que c'est luy qui la vend. Il n'a qu'à écrire son nom à la main.

Armez vous de courage mon cher abbé, car je suis bien importun.