[c. 15 April 1737]
Je voudrais de tout mon cœur, mon cher monsieur, vous être utile dans l'affaire que vous m'écrivez; vous savez dans quels termes je me suis exprimé sur la calomnie, qu'on a fait courir que nous étions brouillés.
Je suis toujours prêt de déclarer, que notre querelle est aussi fausse, que le fondement qu'on a jugé à propos de lui donner; je ne me suis pas opposé que ma déclaration fût mise dans les gazettes; ce qui a été fait dans la Gazette d'Amsterdam, d'une manière si obscure, que personne ici n'y a rien compris; on y a même ajouté une queue, qu'on met sur mon compte, & qui n'est pas de moi. Si je puis faire quelque chose de plus pour faire cesser ce bruit, que je croyais cessé, mais qui ne l'est pas tout à fait, à ce que je vois par votre lettre, je suis prêt; mais, mon cher monsieur, je trouve des difficultés aux deux partis que vous me proposez.
1. Mr de Fénelon est à Paris, & quand il serait ici, je ne sais s'il faudrait s'adresser à lui; je ne le crois pas, sans quoi je ne ferais point de difficulté de lui parler à son retour, car on dit que son absence ne sera pas longue.
2e. Pour ce qui regarde d'écrire au premier ministre en droiture, comme vous me le proposez, je ne me crois pas un personnage assez considérable pour cela. Si son éminence a jamais ouï prononcer mon nom, ce sera qu'on m'a nommé en parlant de vous; ainsi permettez moi de ne me pas donner des airs qui ne me conviennent pas. Vous savez comment je vis isolé, à l'égard des études, sans aucun commerce avec des gens de lettres, travaillant à être utile dans le poste où je me trouve, & cherchant à passer agréablement le peu de temps qui me reste, ce que je regarde comme plus utile que si je me tuais le corps & l'âme pour être plus connu. Quand on veut vivre de cette manière, il faut que tout y réponde, & ne pas faire l'important. Je ne dois pas supposer que des gens, qui ne doivent pas avoir lu ce que j'ai fait imprimer, sachent qu'il y a à Leiden un homme dont le nom commence par un apostrophe.
Je conclus que si j'écris à monseigneur le cardinal, ce doit être sur le pied d'un homme tout à fait inconnu, & comme lui pourrait écrire mon jardinier; & dans ce sens je ne vois pas par où débuter; je ne connais point l'air du bureau; & en écrivant je m'exposerais à jouer un personnage très ridicule, sans vous être d'aucune utilité.
Je vous dis naturellement comment j'envisage la chose; trouvez quelque route praticable, & je ne vous manquerai pas.
La plus naturelle, il me semble, serait que vous fissiez parler directement à s. e. par quelqu'un, qui pourrait lui faire voir un témoignage que je vous aurais envoyé; ou bien, que quelqu'un de vos amis en France me demandât par une lettre des éclaircissements sur ces bruits, & qu'on mît ma réponse entre les mains du cardinal.