aux Délices 15 may 1762
J'étais à la mort, Monseigneur, quand vôtre Eminence eut la bonté de me donner part de la perte cruelle que vous avez faitte.
Je reprends toute ma sensibilité pour vous, et pour tout ce qui vous touche en revenant un peu à la vie. Je vois quelle a dû être vôtre affliction; je la partage; je voudrais avoir la force de me transporter auprès de vous pour chercher à vous consoler.
Tronchin et la nature m'ont guéri d'une inflammation de poitrine, et d'une fièvre continue; mais je suis toujours dans la plus grande faiblesse.
J'ai la passion de vous voir avant ma mort; faudra t’-il que ce soit une passion malheureuse?
Je vous avais supplié de vouloir bien vous faire informer de l'horrible avanture des Calas. Mr le Maréchal de Richelieu n'a pu avoir aucun éclaircissement satisfaisant sur cette affaire. Il est bien étrange qu'on s'efforce de cacher une chose qu'on devrait s'efforcer de rendre publique. Je prends intérêt à cette catastrophe, parce que je vois souvent les enfans de ce malheureux Calas qu'on a fait expirer sur la roue. Si vous pouvez, sans vous compromettre, vous informer de la vérité, ma curiosité, et mon humanité vous auraient une bien grande obligation. Votre Eminence pourait me faire parvenir le mémoire qu'on lui aurait envoyé de Toulouse, et assurément je ne dirais pas qu'il m'est venu par vous. Toutes les Lettres que j'ai du Languedoc sur cette affaire se contredisent; c'est un cahos qu'il est impossible de débrouiller. Mais peut être Vôtre Eminence n'est elle déjà plus à Montelimart, peut être êtes vous à Vic sur Aine, où vous embellissez vôtre retraitte, et où vous oubliez les malheurs publics et particuliers.
Il faut absolument que je me serve de ma faible main monseigneur pour vous dire combien mon cœur est à vous. Que ne pui-je vous entendre, une heure ou deux! Il me semble qu'à travers toutte votre circomspection vous me feriez sentir avec quelle douleur on doit envisager l'état présent de la France. Je vous tiens heureux de n'être plus dans un poste où l'on ne peut empêcher les malheurs et où l'on répond au public de tous les désastres inévitables. Jouissez de votre repos, de votre esprit, de vos lumières supérieures, de touttes les espérances pour l'avenir, et surtout du présent.
Votre philosophie aportera de la consolation à la douleur de la perte de madame votre nièce.
Agréez ma sensibilité et mon tendre respect.
V.