au château de Ferney par Genêve 10e xbre [1766]
Madame,
Si mon âge et mes maladies me l'avaient permis, je serais sûrement venu vous faire ma cour, et à Monsieur le prince de Beauveau quand vous avez passé par Lyon.
Vous allez en Languedoc; vôtre premier plaisir sera d'y faire du bien. Je vous propose, madame, une action digne de vous, et dont tous les honnêtes gens de France vous auront obligation.
Il y a dans Toulouse un avocat célêbre nommé Mr De Sudre, qui osa seul déffendre les Calas, contre l'abominable fanatisme qui a fait expirer sur la roue un vieillard innocent. Les Toulousains aiant enfin ouvert les yeux, ont élu d'une voix unanime Mr De Sudre pour premier Capitoul; la ville en présente trois, le Roy en choisit un. Les deux autres n'ont point été nommés unanimement comme Mr De Sudre. Il a pour lui de longs services, et l'honneur d'avoir seul protégé l'innocence lorsque tout le monde l'abandonnait et la calomniait.
Je vous conjure, Madame, d'obtenir que Monsieur le prince de Beauvau soit le protecteur de ce digne homme auprès de Mr Le Comte de St Florentin. C'est une très grande obligation que je vous aurai à tout deux, et que je partagerai avec quelques millions d'hommes. La chose presse; j'attends tout d'un cœur comme le vôtre.
Je suis avec un profond respect et un attachement inviolable
De vous, et de Monsieur le Prince De Beauvau
Madame
Le très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire