ce 30 nbre [1735]
Vos fenêtres donnent donc àprésent sur le palais royal.
J'aimerois mieux qu'elles donnassent sur la prairie, et sur la petite rivière que je vois de mon lit. Mais on ne peut pas tout avoir à la fois, et il faut bien que mr de la Popeliniere soit récompensé de son mérite en ayant auprès de luy un homme aussi aimable que vous. Vous êtes le lien de la société. Le nom de compère vous sied à merveille en ce sens là, comme on apeloit certain philosophe la sagefemme des pensées d'autruy.
Je suis enchanté de la bonne fortune que vous avez depuis six mois avec Loke. Vous me charmez de lire ce grand homme qui est dans la métaphisique ce que Neuton est est dans dansb la connaissance dans la nature. Quel est donc ce curé de village dont vous me parlez? Il faut le faire évêque du diocèse de st Vrain. Comment, un curé et un Français! aussi philosophe que Loke? Ne pouvez vous point m'envoyer le manuscript? Il n'y auroit qu’à l'envoyer avec les lettres de Pope, dans un petit paquet à Demoulin; je vous le rendrois très fidèlement. Si j'avois auprès de moy un domestique qui sût écrire, je ferois copier quelques chapitres d'une métaphisique que j'ay composée pour me rendre compte de mes idées. Cela vous divertiroit peutêtre de voir quelle espèce de philosophe c'est que l'autheur de la Henriade, et de Jeanne la pucelle. Vous auriez bien aussi quelque chant de Jeanne, car je sçai que vous êtes discret et fidèle.
Le corsaire des Fontaines a bien les vices que vous n'avez pas. Vous connoissez cette guenille que j'avois écritte au marquis Algaroti. L'abbé Desfontaines me demande permission de l'imprimer. Je luy fais réponse au nom de mr et madame du Chatelet qu'ils regarderont cette impression comme une offense personnelle. Je le prie et je luy recomande, de se bien donner de garde de publier cette bagatelle. Je luy fais sentir que ce qui est bon entre amis, devient très dangereux entre les mains du public. Apeine a t'il reçu ma lettre, qu'il imprime. Ce qui m’étonne c'est que son examinateur sache assez peu le monde pour soufrir que le nom de madame du Chatelet soit livré indignement à la malignité d'un pamphletiere. Si mr et madame du Chatelet se plaignent à m. le garde des sceaux, comme ils devroient faire, je suis persuadé que l'abbé Desfontaines se repentiroit de son imprudence.
On m'a envoyé une nouvelle édition de Jules Cesar. J'ay reconu qu'elle étoit nouvelle à des différences considérables qui s'y trouvent. Il est donc absolument nécessaire de donner ce petit ouvrage tel qu'il est, puisqu'on l'a comme il n'est pas. L'abbé de la Mare se chargera de L’édition, et le peu de profit qu'on poura en tirer sera pour luy. C'est une libéralité que vous luy ferez volontiers, surtout àprésent que vous voylà grand seigneur.
Si vous conoissiez quelque domestique qui sût bien écrire, envoyez le moy au plus vite. Vous y gagnerez mille chifons par an, vers, prose. Vous me tiendrez lieu du public. Adieu mon amy. J'embrasse l'imagination du petit B. Je salue, la générosité, l'esprit, etc. de Pollion.
V.lt
Qu'estce qu'une estampe de moy qui se vend chez Odœuvre près de la Samaritaine, cela veut dire je croi sur le pont neuf? Il est juste que je sois avec mon héros. Voyez si cette estampe ressemble.i