[24 April 1734]
Monseigneur,
La bonté et l'attention étonnante que vous daignez avoir pour les afaires des particuliers pendant que vous faites le destin de l'Europe et la gloire de votre patrie, justifient mon importunité auprès de vous.
Je n'ay depuis plus d'un an épargné ny soin ny argent pour étouffer l’édition qu'enfin le sr Tiriot a publié malgré moy.
Il n'y a aucun libraire ny imprimeur en France contre le quel je ne me déclare partie, et que je ne sois prest à poursuivre au sujet de cet ouvrage. Je suis inconsolable de ce qu'il paroit, et j'aurois donné la moitié de mon bien pour le suprimer.
Le sr Tiriot l'a fait paroître à Londres sur le bruit de ma mort, et on a pris en France le temps de mon absense de Paris pour le débiter.
Je vous proteste Monseigneur (et assurément je ne vous trompe pas) que loin d'avoir la moindre part à la publication de ce livre je poursuivray en mon nom avec la dernière rigueur (si vous le permettez) le libraire qui le donne en France au public.
Je sai avec quelle fureur mes ennemis se déchaînent contre moy à l'ocasion de cet ouvrage. N'ajoutez pas monseigneur je vous en suplie à l'amertume où je suis, le poids de votre indignation. Je relève àpeine d'une maladie mortelle, et le chagrin de vous déplaire achèveroit de m’ôter la vie du monde la plus malheureuse. Je vous demande en grâce Monseigneur d'avoir quelque bonté pour l'admirateur le plus zélé des grandes choses que vous faites.
Je seray toutte ma vie avec le plus profond respect
Monseigneur
votre très humble, et très obéissant serviteur
Voltaire