1733-07-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marguerite Thérèse Colbert de Croissy, duchesse de Saint-Pierre.

Les lettres charmantes que vous écrivez, madame, & celles qu'on vous envoie, tournent la tête aux gens qui les lisent, & donnent une furieuse envie d’écrire.
Mais je n'ose plus écrire en prose depuis que je vois la vôtre & celle de votre a mie.

Ce style aimable et gracieux,
Et cette prose si polie,
Me font voir que la poésie
N'est pas le langage des dieux.

Je suis réduit à ne vous parler qu'en vers par vanité; car si vous & votre amie vous vous avisiez jamais de faire des vers, je n'oserais plus en faire. Vous avez pris pour vous toutes les grâces de l'esprit & du sentiment: il ne me reste plus que des rimes. Je vous rimerai donc.

Dans l'asile de ma retraite,
Occupé sans tumulte, amusé sans langueur,
Je fuyais les chagrins, j'ai trouvé le bonheur:
J'ai méprisé le monde & je vous y regrette.
L’étude & l'amitié me tiennent sous leur loi:
Sage, heureux à la fois, dans une paix profonde,
Je bénis mon destin d’être ignoré du monde;
Mais il sera plus doux si vous pensez à moi.

Permettez, madame, que Voltaire assure m. de Forcalquier de mon tendre dévouement.

J'aime sa grâce enchanteresse,
Il parle avec esprit & pense sagement.
Nos vieux barbons font cas de son discernement,
Et notre brillante jeunesse
Veut imiter son enjouement.
Avec tant d'agréments qui le suivent sans cesse,
N'obtiendra-t-il jamais celui d'un régiment?