[c. 4 October 1732]
Ill y a un peu Longtems, mon cher amy, que je ne vous aye écrit.
Je ne sçay pas pourquoy: car, vous m'estes toujours présent, et s'il me prenoit envie de vous écrire toutes Les fois que je me souviens de vous j'aurois toujours La plume à la main. J'ay une maudite paresse qui contrepêse tout chez moy, passions, talents, amitié même, tout est en équilibre. Honteux souvent que cette dernière soit suspendüe: je m'irrite, je me secoüe, L'équilibre tombe et L'amitié l'emporte. Il n'y a que celle que j'ay pour vous capable de balancer dans de certains moments tout Le poids de ma paresse quoique je Luy aye de l'obligation et que je doive à ce vice Là quelques vertus, mon repos, et l'ind férence du plaisir, je ne Lui pardonne point de me faire manquer de vos Lettres. Je suis bien fâché lorseque je pense qu'il [ne] tenoit qu'à moy d'en avoir reçu deux depuis votre dernierre. Elle étoit pleine d'excellens avis, d'une amitlé solide, de sentimens délicats et conforme et un mot à mor cœur et à mes besoins. Vous m'y demandez comment je suis avec La fortune: mal. Elle me promet toujours de m'estre favorable au [. . .] de mr Le grand prieur. En attendant elle me fait faire très mauvaise chère et boire de L'eau. Mais je m'en console et voir souvent mr de Voltaire, recevoir de vos lettres, aller tous les jours à la comédie et boire de l'eau à mon avis c'est divin.
Je ne pense point à faire La mort de Caton. Le sujet comme vous Le dites n'est point interressans, et je n'ay fait la scène de son entrevüe avec Cæsare, que pour dénoüer ma versification et pour pecoter en attendant partie. Vous La verrez au premier jour. Je vay vous faire part d'une soixantaine de méchans vers que j'ay faits pour mr Le c. de Clermont. C'est une espèce de dissertation sur La prééminence de La poësie sur l'histoire. Mr de Moncrif m'avoit posé ce sujet Là.
Tranchés; coupés, je vous donne droit de vie et de mort sur ces vers là, mais ma foy je croy qu'ils ne valent pas la peine qu'on Leur donne ni L'un ni L'autre et quoiqu'ils ne soient que médiocres, il est encor bien surprenant qu'ils ne soient que cela. Il ne devroit sortir d'une tête comme La mienne, partagée entre Les soins de la poësie et ceux du lendemain, que des vers détestables. Mais continués de m'inspirer, je ne désespère point d'en faire de bons. Conseillez moy souvent, aimez moy toujours et malgré la médiocriré de mes talens et celle de ma fortune vous allés faire de moy un bon poëte et un homme heureux.
Linant
La sœur ridicule est une pièce qu'il l'est baucoup. Elle est d'un ancien comédien nommé Montfleuri et fut remise hier avec un succés équivoque. Elle est pleine de gros sel. C'est un tableau grotesque, c'est du calôt. Elle fut précédée d'un petit prologue tout neuf assez vivement écrit. A lundy La tragédie de mr de la Grange. Notre ami n'est point encor revenu de la cour.