A Bruxelles le 1 Septembre [1732]
Ne soïés pas surpris et encore moins fâché, Monsieur, de la Vogue passagère du petit auteur, dont vous me parlés.
Tous les tems et tous les Païs, vous fourniront de pareils Exemples. Vous Verés chés les Grecs des Philemonde préférés à Ménandre, chés les Romains Térence quitté pour des Saltinbanques, chés nos François la Phèdre de Racine Balancée par celle de Pradon, et les meilleures pièces de Molierre par celles de Montfleuri. Rien ne conclud moins qu'un succès dans sa nouveauté. Y en eut-il de plus Eclattant que celui des Tragédies de Quinault. Le Concours étoit si grand et les applaudissements s'y Excessifs, que le Bruit en Retentissc it jusques dans les Ruës du voisinage. Cependant y eut il Rien de si oublié et meme de si méprisé que ces Tragédies?
Le Public qui n'est Jamais trompé à la longue Est presque toujours trompé à la nouveauté. Une Cabale de sots de qualité voüés à l'admiration d'un client, quelques Pélotons de petits Esprits gagnés par l'amitié, ou subjugués par l'insolence d'un confrère appuïé, suffisent pour attirer la foule, qui ne décide d'ordinaire que par Echo. Quelques fausses beautés, qui sont toujours celles qui ébloüissent le plus, accréditent l'Illusion, et la soutiennent quelque temps Jusqu’à ce que le Charme étant dissipé, on voit les choses telles qu'elles sont. Mais ce n'est qu'avec le temps et peu à peu, que le Public parvient à ce point de Justesse, qui fixe pour toujours la Réputation d'un autheur. Il y a vingt ans, que j'Etois presque le seul qui n'Estimât pas les odes de la Mothe. Si J’étois Capable de les estimer aujourd'huy, je serois seul de mon sentiment.