1731-09-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Mon cher amy la mort de monsieur de Maisons m'a laissé dans un désespoir qui va jusqu’à l'abrutissement.
J'ay perdu mon amy, mon soutien, mon père. Il est mort entre mes bras, non par l'ignorance, mais par la négligence des médecins. Je ne me consoleray de ma vie de sa perte, et de la façon cruelle dont je l'ay perdu. Il a péri faute de secours au milieu de ses amis. Il y a à cela une fatalité affreuse. Que dites vous de médecins qui le laissent en danger à six heures du matin, et qui se donnent rendez vous chez luy à midy? Ils sont coupables de sa mort. Ils laissent six heures sans secours un homme qu'un instant peut tuer. Que cela serve de leçon à ceux qui auront leurs amis attaquez de la même maladie. Mon cher Cideville je vous remercie bien tendrement de la part que vous prenez à la cruelle affliction où je suis. Il n'y a que des amis comme vous qui puissent me consoler. J'ay besoin plus que jamais que vous m'aimiez. Je me veux du mal d’être à Paris; je voudrois et je devrois être à Roüen. J'y viendray assûrément le plutôt que je pouray. Je ne suis plus capable d'autre plaisir dans le monde que de celuy de sentir les charmes de votre société. Je ne vous mande aucune nouvelle ny de moi, ny de mes ouvrages ny de personne. Je ne pense qu’à ma douleur et à vous.

V.