4e May 1775
Vous avez donc cette fois-cy, grâce au ciel, renoncé au stile laconique.
Mon paquet est donc perdu? Mais par quelle fatalité n'ai-je reçu vôtre Lettre du 26e Mars que le 2e May?
Ferney est devenu un hôpital, nous sommes tous attaqués de maladies assez dangereuses. Je compte la mienne pour la première parce qu'elle date d'environ quatre vingt et un ans.
Quant au jeune homme dont vous me parlez je l'excuse, parce qu'il fallait une armée d'académiciens contre les Frèrons et les Sabotiers, et ces justes éloges donnés à mes confrères et à ceux qui vont l'être, ne doivent exciter la mauvaise humeur de personne. J'aurais bien voulu que vous eussiez été du nombre des académiciens comme de celui de mes amis. Vous savez que j'avais fait tout ce que je pouvais pour avoir cette consolation.
A l'égard du beaufrère de l'Epine le soutien de ma Colonie, je trouvai, et je trouve encor fort mauvais qu'il vous ait mêlé dans son procez contre Goezman. Mais celui qu'il a contre Mr De La Blache me parait d'une autre nature. Rien ne vous empêcherait, quand vous irez à Lampedouze, de passer par nôtre hermitage, dont Made Denis vous ferait les honneurs dès qu'elle aurait pu retrouver un peu de santé. Je me ranimerais en vous voiant, et vôtre conversation me décrasserait de la rouille que j'ai contractée par trente ans d'absence de Paris.
Ma vue ne s'est pas fortifiée par les maladies et par l'âge. Il y a bien des mots dans vôtre Lettre que je n'ai pu déchifrer, et surtout le nom de celui à qui vous voulez que j'adresse ma lettre. Je prends le parti de l'envoier en droiture par Lyon, ce qui diminuera les frais du port qui commencent à former un impôt assez considérable.
Conservez moi vôtre amitié; elle fera le charme du reste de ma vie.
V.