[16 February 1731]
Monsieur le p. p. est bien épineux, mais vous êtes un homme adorable.
Je vous prie de luy montrer à bon compte le ier volume. Le manuscript qui contient le second tome n'est pas encor prest. Les difficultez que l'on pouroit faire ne peuvent regarder que le Ier tome imprimé, puisqu'il ne s'agit guère dans le second que des avantures de chevalier errant que ce suedois moitié héros, et moitié fou mit àfin en Turquie et en Norvege, deux pays avec les quels la librairie françoise a peu d'intérêts à ménager. Je ne doute point si le p. p. est un homme d'esprit, ou ce qui vaut mieux, un homme aimable, qu'il ne soit tout à fait de vos amis, et qu'il ne fasse ce que vous voudrez. Je ne voudrois pas vous commettre avec luy, ny luy avec le gde des sceaux. Je puis vous donner ma parole d'honneur, et vous pouvez luy donner la vôtre que tout ce qui a obligé mr le g. des sceaux à retirer le privilège a été la crainte de déplaire au roy Auguste, dont on est obligé de dire des véritez un peu fâcheuses. Mais en même temps comme ces véritez sont publiques en Europe, et ont été imprimées dans trente ou quarante histoires modernes en touttes langue, je puis vous assurer que mr le garde des sceaux ne fera aucun scrupule de laisser paroitre l'ouvrage quand le privilège du roy n'y sera pas.
Dans ce pays cy il me semble qu'on doit plus ménager Stanislas qu'Auguste; aussi je me flatte que sa fille Marie ne me saura pas mauvais gré du bien que j'ay dit de monsieur son père. Qui peut donc arrêter mr le p. p.? Je ne doute pas que vous n'en veniez à bout mon cher Cideville, et que je n'aille bientôt dans la bassecour du grand Corneille commencer incognito quelque tragédie avec l'intercession de ce grand saint.
Adieu, que le premier tome ne déplaise pas et je réponds du reste. J'attends avec impatience la conclusion de vos bontés. Tout le monde me croit ici en Angleterre. Tant mieux:
Mille compliments à m. de Lézeau; un profond secret, et de vos nouvelles. Je vous aime tendrement; je vous embrasse de tout mon cœur, et j'espère entendre parler de vous incessamment.