1724-11-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Jacques Dortous de Mairan.

J'avois Monsieur une extrême envie de vous connoitre, et elle a bien augmenté depuis que j'ai eu l'honneur de vous voir.
Je n'ai jamais vu personne dont l'esprit et la raison soient si aimables. Les maux continuels que je souffre me sont d'autant plus sensibles qu'ils m'empêchent d'aller chez vous et de cultiver par mes assiduitez un commerce si utile et si agréable. Je n'ose assurément pas exiger que vous veniez perdre votre temps chez moi, mais je suis bien à plaindre de ne pouvoir mettre à profit le mien chez vous. Je viens de rendre compte à Mr le duc de Richelieu du soin que vous avez bien voulu avoir la bonté de prendre de lui chercher un gouverneur pour ses pages. J'ai vu le jeune homme que vous m'avez envoié. Il m'a paru avoir de l'esprit; je lui ay trouvé une figure assez belle; et en tout sens il me paroit qu'il convient fort à des pages. Mr de Richelieu vous a bien de l'obligation mais il m'en auroit davantage si je pouvois lui procurer la conoissance d'un homme comme vous. Si mr Benet est toujours dans le même sentiment aiez la bonté monsieur de lui faire dire qu'il vienne incessamment chez moy afin que je lui fasse prendre possession. J'ai stipulé qu'il auroit la table des gentilshommes, qu'on l'habilleroit magnifiquement et qu'il auroit deux cent écus d'apointemens. Si cela ne suffit pas je les ferai augmenter. On ne peut trop payer un homme présenté de votre main. Je suis Monsieur avec l'estime que je vous dois votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire