Le 8 octobre 1827.
Je n'ai, depuis assez longtemps, aucunes nouvelles de M. de V.1, et je ne sais maintenant où lui écrire. Il est au moins probable qu'il sera à Paris pour la fête du roi : ce sera pour moi le moment de le joindre. Savez-vous s'il pense toujours à son voyage d'Italie ?
Mon cher, à propos de voyage, je suis bien affligé quand je pense que je ne vous reverrai pas, selon toute apparence, avant trois ans. Je ne veux point quitter la Chenaie que je n'aie fini les divers travaux qui m'y ont amené. Or mon ouvrage sur la Société ne pourra pas, à ce que je prévois, former moins de trois volumes. Il m'en reste un à faire pour achever l' Essai. Je serai fort heureux si je parviens à terminer tout cela dans trois années. Mais, puisque Dieu m'impose cette tâche, je dois la remplir sans retard, et profiter pour cela du temps qui m'est . laissé. Ce serait folie à moi de compter sur un avenir un peu long. Les avertissements que j'ai reçus, deux ans de suite, à la même époque, sont à mes yeux comme un ordre d'en haut de ne pas perdre un seul instant. Il n'a été bruit ici, pendant quelque temps, que de la dissolution de la Chambre. Tous les partis s'en réjouissaient, excepté les ministériels, aujourd'hui bien peu nombreux; mais, comme le petit nombre n'aurait pas été cette fois celui des élus, il paraît que nous resterons tels que nous sommes jusqu'à la fin de la septennalité2. En attendant, il faut espérer que les affaires d'Espagne, de Portugal, de Grèce, de Turquie et d'Amérique, s'éclairciront un peu. Ne trouvez-vous pas extrêmement comique le prologue de la grande tragédie qui se prépare? Le froid mépris avec lequel Mahmoud traite les trois grandes puissances qui croyaient n'avoir qu'à parler pour le voir à leurs genoux; les menaces de celles-ci, puis leur silence et leur inaction; le parfait accord des cabinets sur un point unique, qui est de se laisser traiter comme le dernier valet rougirait de l'être; l'absence de toute force, de toute grandeur, de tout principe élevé, de tout sentiment moral, dans leur ignoble et sotte politique : tout cela est un grand spectacle et une grande leçon. Mais quoi! il faut soutenir l'omnium et le 5 pour 100. Je regrette que la Quotidienne, qui fait quelquefois des phrases sur la société matérielle de notre temps, fonde sur les maximes propres à cette société, sa manière d'envisager la question turque. Rien de plus facile que de rejeter l'islamisme en Asie; mais, un irio- -ment, prenons bien garde, le commerce marseillais en pâtirait peut-être. Que ferait-on des draps de Carcassonne, et des brocarts de Lyon? Rois très-chrétiens, réfléchissez-y !... N'allez pas faire comme ces barbares qui s'en allaient en criant : Dieu le veut! Ceci est une immense question; consultez Barême!...
Je n'ai besoin, mon bon ami, de consulter personne pour savoir que je vous aime avec une tendresse qu'aucunes paroles ne peuvent exprimer. Faites agréer, je vous prie, mes hommages respectueux à Mme Berryer. J'embrasse le cher Arthur.