Le 1er juillet 1827.
J'ai votre lettre du 19 mai, celle de M. de S du 24 par Sconta, celle de la comtesse Louise du 15 juin, et la vôtre du 17. Je vous remercie de tant de marques de bonté, et je ne sais comment y répondre. Vous savez si mon cœur les sent : que vous dirais-je de plus? La comtesse Louise éprouvait un mieux soutenu qui me fait espérer une guérison complète avant la fin de la saison, mais vous avez été bien souffrante, et M. de Senfft aussi n'était pas très-bien. Je le supplie de garder les ménagements que sa santé exige plus impérieusement qu'il ne veut le croire quelquefois, et de ne pas s'affecter trop vivement de ce que, dans les temps où nous vivons, la vie offre de pénible. Il y aurait de quoi devenir fontaine, comme ce petit page dont parle Mme de Sévigné, et rivière, et fleuve, si l'on pleurait sur toutes les sottises, toutes les méchancetés, toutes les bassesses, tous les crimes et toutes les folies de nos chers contemporains. Rions-en plutôt, quand nous le pouvons, ne fût-ce que pour varier ; et surtout voyons les desseins de Dieu, qui rit aussi lui, mais dans sa colère, irridebit et subsannabit. Il faut pourtant vous avouer que je suis triste aussi, et profondément triste. Je vois l'orage grossir à chaque instant, et ce sera bien autre chose que les tempêtes d'Oleggio. Contre celles-ci onfermeles fenêtres; maisiln'y aura rien à fermer quand viendra l'ouragan révolutionnaire; il emportera tout comme une paille. Je lui livrerais, par transaction, sans beaucoup de regret, tout ce qui n'est que de la terre ; il n'y a rien là à quoi je tienne autrement ; et puisque, après tout, cela doit passer, je suis on ne peut plus disposé à dire : Passe! Ce sera même assez drôle à voir s'en aller. Imaginez la Charte roulée en cornet, et dans ce cornet, comme dans un ballon, tel et tel enlevé dans les airs. Ils veulent être Dieu, à la bonne heure; eh bien, on leur dira : Gloria in excelsis!
Mais la Religion, que deviendra-t-elle? mais tant d'âmes qui
se seraient sauvées et qui se perdront! Voilà ce qui perce l'âme. Le schisme s'organise de jour en jour. Le CI. 1 est poussé par le C. de L... 2. Dans leur rage aveugle, je ne sais ce qu'ils ne voudraient pas détruire. A Reims, à Verdun, on exclut des ordres, on chasse du séminaire les jeunes gens suspects d'ultramontanisme, et qui refusent de signer une renonciation aux doctrines du Saint-Siège. Mêmes excès dans plusieurs autres diocèses. Où cela nous mène-t-il? Je ^ous ai parlé des nominations. Jugez de l'avenir, si on laisse aller.
Vous avez vu, dans les journaux, le rétablissement de la censure. La raison qu'en donne le Moniteur, c'est « qu'auparavant il n'y avait pas de discussion possible; on ne pouvait répondre aux ministres, » et c'est pourquoi il a fallu qu'ils rétablissent la liberté de la presse, qu'avait détruite la liberté d'imprimer. Je ne doute pas que cette raison ne soit extrêmement goûtée, et qu'on ne s'en aperçoive en temps et lieu. Vous pouvez vous faire une idée de la haine qu'inspirent ces gens-là par la mort du fils de Peyronnet, que le chagrin a tué, et par la démission du fils de Villèle, qui s'enfuit à Toulouse pour n'en être pas témoin de si près. J'ai entendu dire beaucoup de bien de ces deux pauvres jeunes gens, et, en conséquence, je les plains de tout mon cœur.
M. de Castelbajac vient aussi de perdre un de ses fils ; cela m'a affligé à cause de nos anciennes liaisons. Bien que nous ne nous vissions plus depuis longtemps, j'ai écrit au père quelques mots de consolation. Voyez où nous en sommes : on ne peut plus se parler qu'à travers le fombeau.
La comtesse Marie Potocka m'a écrit une lettre charmante avant son départ pour la Pologne. Ce voyage lui coûte beaucoup, car elle laisse ses enfants à Paris : mais elle a tout le courage que donne une foi vive et une haute vertu.
Ne regrettez pas pour moi le jeune homme de Novare ; il y a grande apparence que nous nous serions peu convenu. J'aime la simplicité, un peu d'enfance même ; et d'ailleurs ses vues de fortune qui se seraient trouvées si fort déconcertées, auraient
- Le cardinal de Latil.
rendu réciproquement notre position désagréable. Ainsi tout est pour le mieux.
Vous ne me dites pas si votre projet est de retourner à Oleggio. Je plains extrêmement le pauvre L .... , et d'autant plus que j'ai peu d'espoir que sa tête se raffermisse. Les bains n 'y feront pas grand'chose. Oserai-je le dire? son mal, c'est lui qu'il regarde trop, et qu'il admire trop.