A la Chenaie le 28 mai 1827.
Cette lettre vous trouvera vraisemblablement à Oleggio, et je le désire, car j'espère beaucoup de ce séjour pour la santé de la comtesse Louise. Le 13 mai, votre départ était arrêté par les pluies. Je vous en crois débarrassée depuis quelques jours, attendu qu'elles nous sont arrivées en Bretagne, d'où nous serions bien aises qu'elles passassent en Albion, ne fût-ce que pour rafraîchir le cerveau de M. Canning, qui paraît en avoir besoin. Que cet homme parvienne à s'affermir ou que l'opposition le renverse, sa victoire momentanée présage avec certitude la victoire finale des whigs, ou plutôt des radicaux. Il ne s'agit que d'un peu plus ou d'un peu moins de temps. Les choses, au reste, vont partout de la même manière, et les temps se hâtent d'arriver. Je ne reçois que des lettres de désolation. Les yeux qui paraissaient le plus hermétiquement fermés s'ouvrent, et si grands, si grands, que cela en est presque risible. C'est une espèce de peur idiote, qui ne sait ni ce qu'elle craint, ni pourquoi elle craint : aussi a-t-elle des effets tout à fait divers. Les uns se réfugient à l'abri de la Charte; les autres se blottissent sous le portefeuille de M. de Villèle ; ceux-ci blanchissent, ceux-là rougissent; quelques-uns deviennent de trois couleurs; jamais on ne dit tant de sottises, jamais on n'en fit davantage, sans compter celles qu'on rêve et qu'on n'a pas le temps de placer. Je suis plus indulgent que vous ne l'êtes à l'égard de l'homme qui s'est retiré . Vous ne vous représentez pas à quel point est porté le mépris du ministère, la haine et l'horreur qu'il inspire, et cela universellement. Il est naturel qu'on se lasse d'une pareille solidarité, surtout quand on a quelque chose, pas grand chose si vous voulez, mais enfin quelque chose à perdre. Je doute beaucoup que V. soit le successeur. L'héritage est scabreux à recueillir. Cependant, s'il était offert, et, ce qui me paraît moins présumable, s'il était accepté, ne doutez pas un seul instant que l'abbé L. 5 n'aurait qu'à se louer des procédés et des sentiments qu'on aurait pour lui. Les torts graves qu'il a eus envers la personne dont il est question ne sont attribués qu'au dérangement trop réel de sa tête, et, malgré les embarras extrêmes qui en sont résultés, n'ont produit d'autre impression qu'une pitié pleine d'intérêt. Voilà en quel état j'ai laissé les choses. Mais, au nom même de l'attachement que vous avez pour ce pauvre abbé, et qu'il mérite, détournez-le de toutes vos forces de tout ce qu'il pourrait lui passer par l'esprit d'entreprendre. Ce serait un nouvel abîme qu'il creuserait sous ses pieds. Tous ses amis, et mon frère plus qu'aucun autre, n'ont qu'une voix là-dessus.
Ce que vous me dites des Algériens et de l'insolence des Musulmans montre jusqu'où nous sommes descendus. La société voyage dans les Cercles de Dante. Elle cherche son chef, elle le trouvera.
Voyez si l'histoire de la Royauté, depuis quelques siècles, ne se trouve pas tout entière dans ces derniers vers.
Et, puisque me voilà dans l'italien, je suis charmé que vous jugiez facile de me trouver un parlatore. Mais les avantages que je puis offrir sont si faibles, que cela peut changer beaucoup l'affaire. J'avais oublié de vous dire aussi qu'il faudrait quelqu'un qui ne s'effrayât pas de la vie de la campagne, et d'une campagne fort solitaire. Mes forces ne reviennent pas encore. Le jour de l'Ascension, j'ai eu une nouvelle attaque de mon mal ordinaire. Je crois que j'ai une charte en moi. Vous en penserez ce que vous voudrez, attendu la liberté des opinions. J'attends avec impatience une lettre d'Oleggio.