Lyon, 2 mai 1810.
Devine, mon cher ami, de quel endroit je l'écris. D'un joli boudoir peut-être? sur les genoux d'une belle? Non, de la grotte de Rousseau sur les bords de la Saône : j'y suis allé après mon déjeuner m'y promener tout seul ; tout seul, oh! que n'étais-tu là? C'est là que notre ami, n'est-ce pas un peu hardi ? a passé deux nuits avec deux sols dans sa poche, rêvant, méditant, écrivant et heureux à ce qu'il prétend : tu connais probablement l'endroit, je ne t'en ferai pas une sotte description, d'ailleurs toutes les grottes du monde se ressemblent assez, mais toutes n'ont pas donné d'asile à un grand homme malheureux; j'y avais apporté de l'encre et du papier dans l'idée, d'y faire quelques vers, mais je trouve plus doux de t'y écrire, et, s'il m'en vient par hasard, tu les auras bons ou mauvais. Rousseau y venait sans argent, et j'y suis avec des dettes, ce qui est bien pis. Je cherche en vain à me distraire, cette diable d'idée me revient toujours. Comment sortirai-je du mauvais pas où je me suis mis par ma folie ? Je vais incessamment quitter Lyon, mon père me mande qu'il est à la campagne, et c'est l'époque que j'ai fixée pour aller l'y joindre; je vais partir, et pour quelque temps, s'il ne me vient pas de ressource inespérée.
N'y pensons plus : quel temps charmant il fait! Mon cher ami, quel moment pour voyager ! quel moment pour se promener avec une maîtresse comme tu en as trouvé une, comme j'en rêve une ! J'ai de violents soupçons, mon cher ami, sur l'objet d'un amour si constant.... Ne serait-ce pas?... Mais taisons-nous, tu entends qui je veux dire. Mes soupçons se sont accrus par quelques bruits indiscrets; peut-être cependant me trompé-je encore, mais j'ai peine à le croire. N'importe, jouis, tes amis jouiront de ton bonheur.
Adieu, écris-moi promptement.
Même adresse.