1807-09-24, de Alphonse de Lamartine à Prosper Guichard de Bienassis.

Mon cher ami,

je vois que tu es un homme de parole, et je veux l'être aussi, car on m'a remis ta lettre hier à neuf heures et j'y réponds ce matin. Je te pardonne volontiers de m'avoir écrit sur du papier à la cloche; pourvu que tu m'écrives, je m'inquiète fort peu sur quel papier. D'ailleurs je sais qu'il en aurait trop coûté à ta frayeur, et peut-être à ta paresse, de traverser nuitamment toute la maison de ton oncle remplie d'esprits follets et de revenants.

Il y a huit jours que je suis arrivé à Mâcon ; j'ai fait plus de la moitié du chemin à pied, avec mon petit paquet sur mon dos ; ainsi tu vois que mon voyage n'a guère été plus gai que le tien: je m'en allais tout le long de la route chantant comme un troubadour quelque vieille romance, j'en composais même tout en marchant ; lorsque je trouvais •quelque beau site, je m'asseyais et je le contemplais tout à loisir. C'est vraiment une manière de voyager charmante, et ce petit essai m'a donné grande envie de me faire chevalier errant. C'est dommage que je n'aie eu personne avec qui je pusse causer. J'aurais bien voulu que nous eussions pu faire ensemble un semblable voyage..

Je suis à présent à la campagne. J'ai chassé deux ou trois fois, mais je n'ai plus pour ce divertissement-là autant de goût que j'en avais jadis; je lis un peu, je dessine un peu, je monte quelquefois à cheval, et le temps passe comme cela fort tranquillement. Je présume que tu fais à peu près de même. Tu sais combien je pensais faire de fracas avec toutes mes thèses, eh bien, je n'en ai pas encore donné une seule, et probablement je n'en donnerai point.

Je ne te parle pas de mon retour parce qu'il n'y a encore rien de déterminé là-dessus, mais je serai très-vraisemblablement à Belley dans un mois. Je t'engage fortement à y être aussi, et en cela tu dois bien penser que c'est mon plaisir que je consulte. Je m'attends bien à m'ennuyer un peu l'année prochaine, car plus on approche du but et plus on le désire, « quod sperat omis excidi, hoc, hoc soevius opprimet. » Tout le monde, pour me consoler, me dit que le terme est proche, et qu'un bien qu'on doit avoir est comme un bien qu'on a ; je laisse dire tout le monde et je me résigne. En attendant, je fais ce que je peux pour charmer mes loisirs, et je t'écris entre Gresset et Molière.

Adieu, mon cher ami, écris-moi le plus tôt possible. J'espère que l'année prochaine nous verra plus liés que jamais, et que ta sincère amitié m'aidera à endormir mes peines présentes dans les songes d'un plus doux avenir.
Je t'embrasse de tout mon coeur et suis ton plus sincère ami.

ALPHONSE DE LAMARTINE.