[p. 2] Ce mercredi matin
Cher ami,
Je suis de retour depuis hier soir 1 et je trouve une invitation pour un grand banquet à la Ville 2 pour vendredi. Tu vois que j’ai bonne mémoire et que je me suis souvenu que nous devions dîner ensemble ce jour-là. Le ciel conspire contre notre réunion. Tu devrais remettre cela à dimanche ou à tel autre jour de la semaine que tu voudras. Je te rafraîchis la mémoire de petites demandes que je t’ai faites, une demi-douzaine de savons ordinaires (j’aime assez ceux qui sont les plus jaunes clairs ressemblant à du savon de Windsor), plus autre demi-douzaine de savons fins Jasmin et Patchouly. Plus un litre d’eau de Cologne ordinaire. [p. 3] Voilà bien des demandes. Excuse-moi et écris-moi un mot pour me le dire. J’ai eu huit jours de beau temps qui m’ont plu infiniment, mais un peu dérouté du travail. Il ne faut pas quitter sa tâche. Voilà pourquoi le temps, pourquoi la nature, en un mot tout ce qui travaille lentement et incessamment font de si bonne besogne. Nous autres, avec nos intermittences, nous ne filons jamais le même fil jusqu’au bout. Je faisais avant mon départ le travail de M. Delacroix d’il y a 15 jours : je vais faire à présent le travail du Delacroix de tout à l’heure. Il faut renouer la maille : le tricot sera plus gros ou plus fin.
En attendant que nous tricotions [p. 4] ensemble des mâchoires, je t’embrasse.
Eug. Delacroix