de  Delacroix, Eugène à  Varcollier, Augustin.

Oh la bonne, l’aimable lettre, et quel coupable de n’avoir pas cédé une seule fois aux envies qui m’ont pris vingt fois de vous écrire. Vous aller chercher, où et quand ! Dans la journée les heures sont courtes et le soir on succombe de fatigue. Car je travaille comme un nègre et cela uniquement pour ne pas penser et ne pas m’ennuyer. J'ai pourtant bien pensé à vous et vous me manquerez bien, mon cher ami 2, quand j’irai remplir mes fonctions civiques dans ce lieu qui comptera moins dans mes souvenirs par ce qui se rattacha [p. 2] à ces dernières, que par ces bonnes séances dans votre bureau qui sont restées dans votre souvenir et que je n’oublierais pas non plus3.

Il faut que vous sachiez que je tousse d’une façon opiniâtre depuis deux mois et que je suis malade deux jours sur trois. Où aller encore vous chercher ? Soyez donc jusqu’au bout bon ami ; dites-moi quel jour vous voulez venir manger un poulet avec moi à 6 heures, les coudes sur la table, personne en tiers. Là, nous dirons ou plutôt nous penserons tout haut. Voulez-vous que je vous propose un jour, que je ne vous impose pas [p. 3] au moins et qui ne serait que suivant vos convenances. Si vous n’aviez pas de répugnance pour après demain mercredi, d’abord je vous verrai plus tôt, car j’ai à cœur de vous recevoir, et nous irions ensuite chez Boilay 4 dont la femme a été ou est encore malade et où nous reverrions un certain cercle d’amis que j’ai négligé comme tout le monde. Si un autre vous plaît mieux, mandez-le-moi par un mot et si c’est mercredi dites-le moi de mieux, pour que je n’aille pas promener ma fortune et ma toux ailleurs. Pauvre homme !

[p. 4] Je comprends bien vos ennuis, moi qui suis l’homme le plus libre de la terre et gâté par cet excès de liberté.

Un mot, cher ami, et en attendant mille vraies tendresses de votre sincère et dévoué.

Eug. Delacroix