1854-09-06, de  Forget, Joséphine de à  Delacroix, Eugène.

Je suis enchantée, mon cher ami, que vous vous plaisiez à Dieppe, et que votre santé s’en trouve bien ; vous deviez faire quelques petits voyages, mais il paraît que vous y avez renoncé. Je me suis informée s’il y avait le choléra à Strasbourg, il y a été, mais peu, et il n’y est plus : il y en a encore à Paris, et l’air y est mauvais ; depuis que j’y suis revenue, je suis quelquefois, ainsi que beaucoup de personnes, sous une mauvaise influence : sans être malade, je suis quelquefois mal à mon aise ; aussi, je mange très peu ; vous avez donc bien fait, ami, de quitter Paris au plus vite.

Je joins ici, mon ami, la copie d’un article du Mousquetaire (journal de Dumas) et je crois que l’article est de lui, sur un de vos tableaux ; figurez-vous que l’article a été copié par mon pauvre enfant : il a pensé que cela me ferait plaisir, et que je vous le ferais lire ; il reçoit le Mousquetaire, et me l’a remis il y a quelques jours2. Le pauvre cher enfant va beaucoup mieux depuis quelques mois. Je vais le voir souvent, et il est si heureux de me voir, si expansif ! si tendre ! j’en ai le cœur brisé !!! car je crains fort que ce bien ne se soutienne pas, il y a des symptômes qui font craindre que le sang ne se porte de nouveau à la tête, et n’amène des accidents comme ceux de l’année dernière3 !

Eugène est parti pour l’Auvergne, débarrassé de sa fièvre, mais non de ses douleurs de rhumatisme.

Je m’amuse fort peu, mon cher ami, les spectacles sont étouffants. Je vais me promener presque tous les soirs au bois de Boulogne ; le clair de lune est magnifique dans cette jolie pièce d’eau : la grande est toujours en réparation, l’eau n’y tenait pas. Je m’occupe beaucoup de collage, je fais des stores, des potichomanies, cela m’amuse beaucoup.

Quel est donc le roman de Dumas qui vous amuse autant4 ? Lisez donc les mémoires de Dickens, ou de Thomas Coperfil5 (c’est la même chose), vous en serez, je crois, charmé.

Adieu, ami, je m’aperçois que je viens de faire un gros pâté d’encre, mais je ne veux pas recommencer ma lettre, je vous envoie un million de tendresses et vous embrasse de tout cœur.