Mon cher ami,
Nous voici arrivés enfin à Genève depuis hier soir à 7 heures ; nous étions bien accablées, bien fatiguées, mais ce matin nous voici reposées, et courant la ville pour savoir où nos pauvres exilées pourront se fixer1. Notre voyage s’est fait heureusement, sans accident ; la malle-poste est une bonne et douce voiture, qui va si vite qu’on n’a pas le temps de respirer et qui nous a laissées dans le milieu de la rue de Dôle à 2 heures du matin ; nous étions là déposées comme un ballot et c’est avec une grande peine que nous avons trouvé une mauvaise auberge, accompagnées par une espèce de commissionnaire, qui nous a encore déposées dans la cour, avec tous nos bagages. Nous sommes restées une bonne demi-heure à faire réveiller une fille d’auberge pour nous donner une chambre, où nous avons dormi tant bien que mal. Le lendemain jeudi, nous avons trouvé heureusement des places dans une assez mauvaise diligence qui nous a menées en trente heures à Genève.
Enfin, mon ami, nous voilà au terme de notre voyage, et je suis bien triste de ce pays sauvage et de me trouver ainsi éloignée de mes meilleurs amis. Nous avons traversé les montagnes du Jura, enduites de neige, qui nous poursuit ici, et le temps est d’un froid féroce qui sera effrayant cet hiver pour ma pauvre Hortense ; que je la plains d’être obligée d’habiter en pays étranger, j’ai le cœur serré de voir toutes ces montagnes blanches ; il faudrait avoir une tendresse bien exaltée pour compenser la tristesse de l’exil !
Nous restons à Genève, mon ami ; si tu veux me répondre de suite, écris-moi, poste restante à Genève, Suisse, à l’adresse de Mme Orlane Vallet. Je suis bien heureuse de tes nouvelles.