1778-05-09, de Marie Louise Denis à Henri Rieu.

J'ai reçu vôtre lettre, Monsieur, mais il m'a été impossible d'en faire usage auprès de mon oncle.
Vous savez qu'il est três curieux et que lorsqu'on lui lit un passage d'une Lettre, il veut la lire toute entière. Comme vous me parlez de papiers que je vous avais confiés il m'aurait fait cent questions sur cela, me demanderait quels sont ces papiers, pourquoi je vous les avais confiés et je ne saurais que lui répondre.

Ecrivez moi donc une lettre que je puisse lui montrer. Vous m'étonnez, toutes les lettres que je reçois de Ferney me disent que nous vendons notre terre, où a t'on pris cela? Quelle rage de voulloir que nous vendions nôtre bien Lorsque nous n'en avons nulle envie, et qu'il n'en n'a jamais été question. Je crois que ce serait la plus haute sottise que mon oncle pourrait faire surtout demeurant à Paris. Il faut avoir un chez soi, il faut avoir une retraite où l'on puisse aller quand cela plait et que cela convient.

Mon oncle vient d'acheter à Paris une maison à vie sur sa tète et sur la mienne dans la rue de Richelieu mais cela empèche t'il qu'il ne puisse avoir une terre? En un mot nous ne pouvons point vendre la nôtre et c'est un de mes grands chagrins que de L'entendre dire, Je n'ai point renoncé à Ferney, j'y suis attachée plus que jamais, je suis Loin de croire que je n'y retournerai plus et je souhaite la garder. Vous êtes une des personnes qui me faites le plus regretter ce pays Là. Soiez sûr, Monsieur, que je mettrai tout en usage pour que vous soïez content. Je ne doute pas que mon oncle ne prenne les arrangemens qui vous conviendront, ainsy il faut lui écrire ou à moi une lettre que je puisse lui montrer.

Mon oncle est reçu dans ce pays d'une façon si séduisante qu'il n'a put se refuser de demeurer avec ses compatriotes qui lui donnent tant de marques d'estime et d'amitié. Je vous dirai même que cela à changé son humeur, qu'il est beaucoup plus doux, qu'il aime la société et que souvent il est infiniment aimable. J'espère que notre séjour à Paris vous y attirera quelquefois.

Je regrette aussi beaucoup Mr et mde Dupuis. Je crains qu'elle ne s'ennuie. Si j'étais plus Libre je pourrais lui procurer ce petit voiage icy car j'aurai de quoi la loger dans la maison que nous venons d'aquérir.

Ma santé est toujours bien faible. J'ai de la peine à revenir de mon dernier accident. Je m'étais pourtant portée à merveille dans mon voiage.

Adieu Monsieur, mon oncle est à peu près comme vous l'avez vu. Il se fatigue un peu icy. Conservez moi votre amitié, dites à vos dames combien je les regrette. Je voudrais les tenir à Paris et une douzaine de personnes que je n'oublie point, je serais trop heureuse.

Mde De Villette revient fort bien de sa fausse couche, il n'y a point de nouvelles ici.

La grossesse de la reine se confirme, on attend avec impatience la destination de la flotte de M. Destain. Il ne parait pas qu'il y aura aucune guerre sur terre du moins de quelque tems.

Embrassez vos dames pour moi, comptez Monsieur que vous n'avez point de meilleur amie que moi, que je penserai toujours à Paris comme à Ferney et que je vous serai inviolablement attachée toute ma vie.

Denis