1777-10-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Juste de Beauvau, prince de Beauvau-Craon.

Les philosophes, Monseigneur, n'admettent point la providence particulière.
Je suis pourtant obligé d'y croire; et j'imagine que Dieu vous a conduit par la main dans ma caverne de Ferney pour y faire du bien.

Vous vous ressouvenez peutêtre, vous et Madame la princesse de cette jeune Madlle De Varicourt, belle, bien faitte, honnête, polie, et dans qui la nature a mis toutes les bonnes qualités que l'art n'imite que mal.

Ungentilhomme titré, brigadier des armées, possesseur de près de cinquante mille écus de rente, est prêt de l'épouser, si vous daignez protèger ce mariage, et accorder à son père une retraitte avec le simple titre d'exempt. Vous ferez d'un seul mot la fortune d'une personne qui la mérite, et le bonheur du gendre et du beaupère. Le beaupère ne sçait encor rien des desseins du prétendant; il ne l'a pas même encor vu. Il est loin de demander une retraitte; mais j'ose croire qu'il l'acceptera en étant toujours soumis à vos ordres.

Voilà, Monseigneur, ce que la providence vous dit par ma bouche prophâne. Je souhaitte bien vivement que la providence ne soit pas indiscrète dans la requête qu'elle vous présente. Ne la rejettez pas; donnez au vieux solitaire de Ferney la consolation d'avoir contribué sous vos ordres au bonheur de deux personnes qui certainement méritent d'être heureuses. J'attends vôtre approbation et celle de Madame la Princesse. Je vous présente à tout deux mon profond respect, et ma reconnaissance.

V.