1777-06-28, de Pierre Louis Claude Gin à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai reçu, monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, et quoique je n'admette pas entièrement votre proposition que le gouvernement despotique et le monarchique soient une même chose, je vous dois cependant plus de remerciements des instructions que des éloges que vous voulez bien me donner.

L'homme ne peut renoncer à la liberté naturelle et la contrainte seule, où le fanatisme soutiennent le véritable despotisme, la puissance d'un maître despoton; mais je conçois à merveille qu'à l'exemple du gouvernement paternel, une société nombreuse se soumette à l'autorité d'un seul homme tellement élevé sur les autres que son intérêt se confonde avec l'intérêt public.

C'est en ce sens que je regarde le gouvernement monarchique, des deux mots monos — archein, commander seul, comme le plus favorable à la liberté de l'individu; non seulement lorsqu'un Marc Aurele sera sur le trône, mais toutes les fois que les vrais principes de ce gouvernement ne seront pas altérés, et l'intérêt du monarque dénaturé par l'élévation d'une puissance rivale.

Ce n'est pas qu'il ne puisse s'élever, et qu'il ne s'élève en effet, des orages au sein de ce gouvernement, que les pies-grièches ne continuent de manger les hirondelles; mais à dieu ne plaise que je ne propose pour remède, comme le fait l'abbé Mabli, de diviser un grand empire en une multitude de petites républiques pauvres, pour éloigner des hommes les objets de leurs passions. Il suffit que la constitution maintienne dans la monarchie des corps intermédiaires subordonnés et dépendants, dont les représentations, sans aucun droit de résistance, rappellent sans cesse le monarque à son véritable intérêt.

Ainsi les abus d'autorité, le despotisme de fait, seront moins dangereux et moins durables, et la force du lion réprimera l'avidité des rats qui nous mangent. Je crois l'avoir prouvé et par l'expérience, et par la considération de cette loi de la nature qui tolère les distractions des hommes sur leur intérêt réel; mais qui les y rappelle infailliblement aussitôt qu'ils le connaissent, comme un ressort se redresse de lui même, lorsque l'obstacle qui l'arrêtait ne s'oppose plus à son action.

Au surplus, monsieur, le suffrage d'un juge tel que vous serait capable de me donner de mon ouvrage une plus haute idée que celle que j'en dois concevoir, si d'autres vues m'avaient animé, qu'un zèle purement patriotique, et le désir de contribuer à repousser les attaques trop multipliées qu'on livre, depuis quelque temps, aux vrais principes du gouvernement français, en manifestant à mes concitoyens les sentiments que j'ai pris toute ma vie pour règles de ma conduite.

Je suis, monsieur, avec le respect et la reconnaissance que je vous dois votre très humble et très obéissant serviteur.