1777-06-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Jean de Beauvoir, marquis de Chastellux.

J'ai trop tardé, monsieur, à vous remercier de vos remerciements.
Si le triste état où j'ai été peut me laisser encore de la force et du loisir, je crois qu'avant de mourir je ferai une campagne sous vos drapeaux. Je ne vous sers pas comme font les Suisses à qui il est indifférent de se battre pour l'Allemagne ou pour la France, pourvu qu'ils aient une bonne capitulation. Je ne suis pas même un volontaire qui fait une campagne pour son plaisir: je suis une espèce d'enthousiaste qui prend les armes pour la bonne cause.

Il est vrai que je ne sais pas quel est le chevalier de la poste du soir qui croit m'avoir abattu de sa lance enchantée; il serait bon de savoir à qui on a affaire. Mais quel qu'il soit, si nous étions aux prises je lui ferais voir que son héros est un charlatan qui en a imposé au public. Je lui démontrerais que ce charlatan devenu si fameux, n'a pas mis une citation dans son ouvrage, qui ne soit fausse, ou qui ne dise précisément tout le contraire de ce qu'il avance.

Je prouverais à tous les gens raisonnables que ses raisonnements et ses systèmes sont aussi faux que ses citations; que des plaisanteries et des peintures brillantes ne sont pas des raisons, et qu'un homme qui n'a regardé la nature humaine que d'un côté ridicule, ne vaut pas celui qui lui fait sentir sa dignité et son bonheur.

Voilà ce qui m'occupe à présent, monsieur, mais pour remplir mon projet, j'ai besoin d'un long travail qui me mette à portée de citer plus juste que l'auteur de l'Esprit des lois; et surtout je voudrais savoir quel est le bel esprit de la poste du soir contre lequel je veux me battre.

Serait ce abuser de vos bontés de vous demander des nouvelles de la noble entreprise du jeune comte de Lalli, de faire rendre justice à la mémoire de son père?

Conservez vos bontés &a.