1777-01-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Louis Claude Marin.

Vous ne m'écrivez, Monsieur, qu'une Lettre du jour de l'an.
C'est bien à la vérité une marque de souvenir, mais ce n'est pas une marque d'amitié. Vous avez donc renoncé aux affaires et aux belles lettres; vous les jugez aparamment les unes et les autres tombées en décadence à Paris. Cependant, les belles Lettres consolent toujours, pourvu qu'on ne se commette pas avec le public.

Vous ne me dites rien de vôtre ami l'homme hardi et éloquent. J'ignore où il est à présent. Il m'était venu voir avec Mr Panckouke l'automne dernier. Est-il vrai qu'il a quitté la France? On prétend qu'il s'est retiré à Bruxelles, et de là à Mastrict. Une place frontière de la Hollande n'est pas trop faitte pour un homme de ses talents et de son caractère. Tout ce qui est arrivé depuis quelque tems à des personnes que vous avez connues, est assez extraordinaire. Ce qui ne m'a pas médiocrement étonné, c'est qu'un fils de Mr L'Epine horloger du roi, bien connu de vous, jeune homme de quinze à seize ans tout au plus, vient, par le crédit de son oncle, d'être fait capitaine d'artillerie, et est parti en cette qualité pour nos îles. Il était l'année passée aprentif horloger dans ma colonie. On voit tous les jours de ces changements de fortune. Je me flatte que vous avez assez affermi la vôtre pour ne rien craindre et ne rien désirer. C'est là, ce me semble, la bonne philosophie, et c'est ce que les querelles littéraires, ni même celles de cour, ne donnent guères. Comptez que je m'intéresse bien véritablement, Monsieur, à tout ce qui peut faire vôtre bonheur. Ma philosophie consiste à présent dans le repos et l'amitié. Conservez moi la vôtre, elle sera la consolation de ma vieillesse.

v. t. h. o. sr

V.