1766-01-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, vous souvenez vous d'un certain mandement de l'archevêque de Novogorod que je reçus de Paris l'automne dernier?
J'en ignore l'auteur, mais sûrement c'est un prophète. Figurez vous que la lettre de m. le prince Galitzin en renfermait une de l'impératrice qui daigne m'apprendre qu'en effet l'archevêque de Novogorod a soutenu hautement le vrai système de la puissance des rois contre la chimère absurde des deux puissances. Elle me dit qu'un évêque de Rostow qui avait prêché les deux puissances a été condamné par le synode auquel l'archevêque de Novogorod présidait, qu'on lui a ôté son évêché et qu'il a été mis dans un couvent. Faites sur cela vos réflexions, et voyez comme la raison s'est perfectionnée dans le nord.

Notre grand Tronchin ne vous apporte rien, parce que je n'ai rien. Les chiffons dont vous me parlez ont été bien vite épuisés. Boursier jure qu'il vous a envoyé les numéros 18 et 19. Fauche n'envoie point les ballots; je ne reçois rien, et je meurs d'inanition.

Il pleut tous les jours à Genneve de nouvelles brochures; ce sont des pièces du procès qui ne peuvent être lues que par les plaideurs.

La querelle de Rousseau sur les miracles a produit vingt autres petites querelles, vingt petites feuilles dont la plupart font allusion à des aventures de Geneve dont personne ne se soucie. On m'a fait l'honneur de m'attribuer quelques unes de ces niaiseries; je suis accoutumé à la calomnie comme vous savez.

J'oubliais de vous dire que l'impératrice de Russie est étonnée de la sensibilité que m. d'Alembert passe pour avoir marquée dans l'affaire de sa pension. Il faut qu'elle ait lu de mauvaises gazettes. Je l'ai mise au faite et je l'ai rassurée sur la manière de penser de notre philosophe. Vous auriez bien dû lui lire quelque chose des procédés généreux de m. le duc de Choiseul.

Je ne saurais finir sans vous parler de ste Genevieve. Il est bon d'avoir des saints; mais il est encore mieux de se résigner à dieu; et il est utile même que le peuple soit persuadé que la vie et la mort dépendent du créateur, et non pas de la sainte de Nanterre. C'est le sentiment de tous-les théologiens raisonnables, et de toutes les honnêtes gens éclairés. Ecr. l'inf.