16e 8bre 1765
J'ai passé de beaux jours avec vous, mon cher frère; il me reste les regrets, mais il me reste aussi la douceur du souvenir, et l'espérance de vous revoir encor avant que je meure.
Qui vous empêcherait, par éxemple de revenir un jour avec Me et Made Deflorian? Vous savez combien ils vous aiment, car vous avez gagné tous les cœurs.
J'ai reçu vôtre Lettre de Dijon, et Made Deflorian ne vous rendra la mienne qu'à Paris. Je me flatte que vôtre zèle conduit par vôtre prudence, va servir la bonne cause avec toute la chaleur que la nature a mis dans vôtre cœur généreux, sincère et compatissant. Les indignes ennemis de la raison et de la vertu, sentiront bientôt qu'il n'y a de raison et de vertu que chez les vrais philosophes. L'infâme Jean Jaques est le Juda de la confrérie, mais vous ferez de dignes apôtres.
J'attends le factum d'Elie en faveur des Sirven, et les estampes de la famille des Calas. Vous avez la note de ceux qui ont paié entre mes mains, et si vous n'avez pas d'argent à moi vous en pourez envoier prendre chez Mr De La Leu.
Vous savez avec quelle impatience j'attends les manuscrits de Fréret que vous m'avez promis. Ceux que vous avez emportez peuvent se multiplier aisément. La lumière ne doit pas demeurer sous le boisseau. Je me flatte que vous m'instruirez des querelles du parlement et du clergé. Nous sommes cette fois cy parlementaires, et de dignes paroissiens de Mr L'archevêque de Novogorod.
Les divisions de Genêve éclateront bientôt. Il est absolument nécessaire que vous et vos amis vous répandiez dans le public que les citoiens ont raison contre les magistrats; car il est certain que le peuple ne veut que la liberté, et que la magistrature ambitionne une puissance absolue. Y a t-il rien de plus tiranique par éxemple, que d'ôter la liberté de la presse? et comment un peuple peut-il se dire libre quand il ne lui est pas permis de penser par écrit? Quiconque a le pouvoir en main voudrait crever les yeux à tous ceux qui lui sont soumis. Tout juge de village voudrait être despotique. La rage de la domination est une maladie incurable.
Je commence à lire aujourd'hui le livre italien des délits et des peines. A vue de païs celà me parait philosophique; l'auteur est un frère.
Adieu, vous qui serez toujours le mien, adieu, mon cher ami, périssent les infâmes préjugés qui déshonorent et qui abrutissent la nature humaine, et vive la raison et la probité qui sont les protectrices des hommes contre les fureurs de l'infâme! Adieu encor une fois, au nom de Confucius, de Marc Antonin, d'Epictete, de Cicéron et de Caton.