1768-12-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Baron Friedrich Melchior von Grimm.

L'affligé solitaire des Alpes a reçu la lettre consolante du prophète de Boheme.
Ils pleurent ensemble, quoique à cent lieues l'un de l'autre, le défenseur intrépide de la raison et le vertueux ennemi du fanatisme. Damilaville, est mort et Fréron est gros et gras. Mais que voulez vous? Thersite a survécu à Achille, et les bourreaux du chevalier de la Barre sont encore vivants. On passe sa vie à s'indigner et à gémir.

Il y a des barbares qui imputent la traduction de l'a b c à l'ami du prophète bohemien; c'est une imputation atroce. La traduction est d'un avocat nommé la Bastide Chiniac, auteur d'un commentaire sur les discours de l'abbé Fleuri. L'original anglais fut imprimé à Londres en 1761, et la traduction en 1762 chez Robert Freeman où tout le monde peut l'acheter. Voilà de ces vérités dont il faut que les adeptes soient instruits et qu'ils instruisent le monde. Les prophètes doivent se secourir les uns les autres et ne se pas donner des soufflets comme Sedechias en donnait à Michée.

Je prie le prophète de me mettre aux pieds de ma belle philosophe.

On dit du bien de madelle Vestris; mais il faut savoir si ses talents sont en elle, ou s'ils sont infusés par le Kain; si elle est ens per se ou ens per aliud.

Vous reconnaîtrez l'écriture d'Elisée sous la dictée du vieil Elie; je lui laisserai bientôt mon manteau; mais ce ne sera pas pour m'en aller dans un char de feu.

Adieu, mon cher philosophe, je vous embrasse en Confucius, en Epictete, en Marc Aurele, et je me recommande à l'assemblée des fidèles.

V.