1771-03-10, de Frederick William II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous avez très bien fait, Monsieur, de ne pas Vous presser d’aller apprendre des nouvelles positives de l’autre monde. Vous étes trop utile dans celui-ci, et j’espère que Vous l’éclairerez encore longtems.

Je ne Vous fatiguerai plus par mes questions sur l’âme; je serois bien fâché que Vous allassiez chercher la réponse si loin; et ma curiosité n’en seroit probablement pas mieux satisfaite. Quelque favorisé du Ciel que vous soïez sur notre petite planète, je doute qu’il vous accordât le privilège de revenir instruire Vos admirateurs. Si cependant la chose n’étoit pas impossible, ne craignez pas que Votre apparition m’efraïât; Mais je vous le répête ne Vous hâtez point; je suis très content de ce que vous savez actuellement de notre âme. Elle peut survivre au Corps; il est vraisemblable qu’elle lui survivra; pour avoir l’esprit en repos sur l’avenir il ne faut qu’être homme de bien: Je le serai toujours; j’en ferai toute ma vie honneur à vos sages exhortations; et j’attendrai patiemment que la toile se lève pour voir dans l’éternité.

Je ne saurés assez Vous dire Monsieur combien je suis content de vos réponses au système de la Nature. Je savois bien que vous réfuteriez mieux ce livre en vingt pages, que tous les Théologiens ne le feront en cent Volumes, ce bien fait seul mériteroit la statue que l’on vous érige à tant de titres. J’aime la manière honête dont vous traitez l’auteur, et la justice que Vous rendez à ce qu’il y a de bon dans son livre, tout en terrassant son système.

Je Vous rends mille grâces Monsieur du précieux présent que vous me destinez. Je lis actuellement avec un plaisir infini les premiers volumes de vos questions. Je Vous avoue que quelque estime que j’aie pour la grande Enciclopédie, la Vôtre me plait incomparablement mieux. Un format comode; un stile égal et toujours gai; point d’articles ennuieux, ou ininteligibles; et partout l’inimitable Voltaire.

Entre tous les articles que j’ai vû jusqu’à présent, vous ne devinerez pas celui qui m’a le plus amusé. C’est celui d’Auteur. Comme je ne crains pas de jamais l’être, j’ai pu en rire à mon aise. A moins qu’un Prince n’ait le stile de Cesar, ou la sagesse de Marc Aurele, ou le génie de Federic, je crois qu’il fera bien de ne pas écrire.

Je devrois peut-être mettre Votre Julien sur cette petite liste des princes que leurs ouvrages font admirer, mais je vous avoue que sa satire des Cesars si vantée, ne me plait guères; je n’i trouve pas le ton de la bonne plaisanterie. Si Vous en jugez plus favorablement pardonnez à mon mauvais goût.

Ma lettre devient trop longue, je Vous en demande pardon, vos momens sont précieux au public.

Vous êtes assez heureux, Monsieur, pour que je ne puisse Vous être bon à rien; s’il se présentoit néanmoins quelque ocasion de vous faire plaisir, disposez je vous prie de

Votre très afectioné ami Fred. Guillaume pr. d. Pr.