16e May 1764 aux Délices
Mon cher frère, on dit que pour consoler les Welches de tous leurs malheurs, on leur a donné une comédie fort bonne qui a un très grand succez; mais j'aimerais encor mieux quelque bon livre de philosophie qui écrasât pour jamais le fanatisme, et qui rendit les Lettres respectables.
Je mets toutes mes espérances dans l'enciclopédie.
Avez vous reçu, mon cher frère, le second ballot que Mr Gabriel Cramer vous avait destiné? j'ai toujours sur le cœur la tracasserie qu'on m'a voulu faire avec lui. N'est-il pas bien singulier qu'un homme s'avise d'écrire de Paris à Genêve, que je jette feu et flamme contre les Cramers; que je parle d'eux dans toutes mes Lettres avec dureté et avec mépris; que je veux faire saisir leur livre par les ordres de Mr De Sartine! et pourquoi s'il vous plait tout ce fracas? Parce que je n'ai pas voulu que mon nom figurât avec la famille Vadé, et que je me suis cru indigne de cet honneur. Quand j'ai vu mon nom j'ai dit que je ne voulais pas qu'il parût. Quand on l'a ôté j'ai été content, et voilà tout. Vous me feriez grand plaisir d'écrire à Gabriel qu'on l'a très mal informé; que celui qui lui a mandé ces sottises n'est qu'un semeur de zizanie. Les Cramers m'ont assurément quelque obligation; et celui qui voudrait leur persuader d'être ingrâts ferait une action bien condamnable. Je crois avoir contribué un peu à leur fortune, je ne m'en repents point; ils sont mes frères, ils sont philosophes, et les philosophes doivent être reconnaissants. C'est vous que êtes le véritable frère, c'est avec vous que je voudrais célébrer les mistères sacrés de la raison, c'est dans vôtre sein que je dépose ma douleur de la dispersion des fidèles.
Adieu, soions toujours unis en Platon, Cicéron, Marc Antonin, Epictete, Julien, Bayle, Shaffsterbury, Bolingbroke, etca etca.
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