7e 9bre 1764 aux Délices
Je voulais vous envoier aujourd'hui, mon cher frère, pour faire diversion, quelques éxemplaires de la nouvelle réponse à la nouvelle édition du testament du cardinal de Richelieu, et à la nouvelle Lettre de Mr De Foncemagne.
Mais étant obligé de faire partir beaucoup de gros paquets, je n'ai pas voulu éffraier la poste. Ce sera pour le premier ordinaire.
Il a fallu toute la protection que j'ai à la cour pour affaiblir seulement un peu l'opinion où était le roi que j'étais l'auteur du portatif. Il ne sçait pas malheureusement tous les détails qui pouvent mon innocence. Il ne sçait pas qu'il a été constaté à l'académie, que nonseulement je n'ai nulle part à cette édition, mais que le livre est de plusieurs auteurs et de plusieurs stiles. Il sera plus difficile d'arrêter la fureur des Omers. L'un d'eux a fait venir l'ouvrage, et j'ai vu des lettres de lui qui ne sont pas d'un homme modéré. On ne poura empêcher ces persécuteurs de suivre leurs infâmes usages dont on se moque depuis assez longtemps. Tout ridicules qu'ils sont, ils ne laisseront pas de faire impression, et même sur l'esprit du souverain, qui en voiant l'ouvrage condamné le trouvera encor plus condamnable.
Tout le mal vient, encor une fois, de ce que les frères à qui on a communiqué cet ouvrage, ont eu l'imprudence de me nommer. Plus ils auraient été convaincus que j'en étais l'auteur, plus ils auraient dû écarter les soupçons dans l'esprit des autres. L'éffet des premiers bruits ne se répare prèsque jamais, il faut cent éfforts pour détruire l'impression d'un moment.
Je vous suplie donc, mon cher frère, de continuer à réparer le mal. C'est déjà beaucoup que l'on ait dit en pleine académie la vérité dont j'ai besoin. Si quelque chose peut arrêter la fureur des barbares, c'est que le public soit instruit que le livre est un recueil de pièces de différents auteurs dès longtemps publiées.
Admirons cependant la providence qui a suscité jusqu'à un prêtre, qui est le premier de son église, pour faire un des articles M. et le fameux Midleton, auteur de la vie de Cicéron, pour un autre article. Frère Protagoras dit qu'il ne veut rien écrire, mais si tous les sages en avaient dit autant, dans quel état serait le genre humain? et dans quelle horrible superstition ne serions nous pas plongés? La superstition est immédiatement après la peste le plus horrible des fléaux qui puissent affliger ce genre humain. Il y a encor des sorciers à six lieues de chez moi sur les frontières de la franche Comté, à st Claude, païs où les citoiens sont esclaves; et de qui esclaves? de L'évêque et des moines! Il y a quelques années que deux jeunes gens furent accusés d'être sorciers, ils furent absous, je ne sçais comment, par le juge. Leur père qui était dévot, et que son confesseur avait persuadé du prétendu crime de ses enfans, mit le feu dans la grange auprès de laquelle ils couchaient, et les brûla tout deux pour réparer auprès de Dieu l'injustice du juge qui les avait absous. Celà s'est passé dans un gros bourg appellé Longchaumois; et celà se passerait dans Paris s'il n'y avait eu des Descartes, des Gassendis, des Bayles, etca.
On a donc beaucoup plus d'obligation aux philosophes qu'on ne pense; eux seuls ont changé les bêtes en hommes.
Le Julien du marquis d'Argens réussit beaucoup chez tous les sçavants de l'Europe, mais il n'est pas connu à Paris; on y craint trop pour l'erreur qui est encor chère à tant de gens.
Mon cher frère Ecr: L'inf: