30e Mars 1772
Mon cher philosophe, nous avons lu et traduit l'acte de Magister Andreas Banduyens, qu'un de vos habitans de Longchaumois m'a aporté.
Nous avons trouvé que cet acte est un peu équivoque, et peut être serait plus dangereux que profitable à nos pauvres esclaves. On les appelle taillables dans ces actes, et on les relêve seulement de l'obligation où ils étaient de paier certaines redevances onéreuses.
Il est vrai qu'on trouve dans cet écrit les mots de liberté et de franchise; mais je crains que cette liberté et cette franchise regarde seulement les petites impositions annuelles dont on les délivre, et ne les laisse pas moins soumis à cette infâme taillabilité de servitude qui est l'oprobre de la nature humaine. C'est aux moines d'être esclaves, et non d'en avoir. Les hommes utiles à l'état doivent être libres, mais nos loix sont aussi absurdes que barbares. Douze mille hommes esclaves de vingt moines devenus chanoines! Cela augmente la fièvre qui me tourmente ce printems. Je n'aurai point de santé cette année. Je crains bien de mourir en 1772, c'est l'année centenaire de la st Barthelemi.
Venez faire vos pâques à Ferney, mon cher philosophe. Je vous embrasse bien tendrement.