1774-02-07, de Pierre Lombard à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Permettez qu'un de ceux qui prient Dieu en Patois, vous adresse une Epître & un mémoireécrits de même.
Comme il est peu d'idiomes que vous n'entendiez, je pense que vous me comprendrez. Vous appercevrez, au travers d'un stile mélangé, qu'il s'agit d'une cause bien propre à intéresser les vrais Philosophes, mais qui cependant, n'a pas attendri Monsieur de Boine, sans doute, parce qu'elle lui a mal été recommandée, ou plutôt, parce que mon Mémoire était d'une diction révoltante.

Pour vous, Monsieur, en qui les malheureux trouvent un refuge & un père, quel que soit leur langage, vous accueillirez favorablement ce que j'ai fait pour l'infortuné Achard; vous me saurez même gré de vous avoir fourni l'occasion d'exercer la bienfaissance de votre cœur.

Que ne me suis-je d'abord adressé à vous! Me pardonnerez vous, Monsieur, de ne pas l'avoir fait? Vous auriez peine à vous y résoudre si vous ne connaissiez l'estime où je vous tiens. Je sais que la Philosophie bienfaisante, cette amie de l'humanité, doit ses progrès autant à vos touchans exemples qu'à vos éloquentes leçons; je vous avouerai même que je n'aime les hommes, que le goût du bien ne s'est profondément enraciné dans mon cœur que depuis la lecture de vos immortels ouvrages. O grand-homme! je vous dérobais une bonne action & ce larcin me rendait d'autant plus coupable à vos yeux, que je vous ravissais véritablement votre bien: vous voilà vengé de mon injustice, & l'insensibilité d'un Grand me donne des remords que je me fus épargné sans ma timidité, ou plutôt sans l'oubli de vos vertus.

Je me flatte, Monsieur, que tout insupportable qu'est ma lettre, vous le pardonnerez à un admiratuer passionné de vos talens, & qui respecte autant votre personne qu'il prise votre belle âme. D'après celà, vous devez juger qu'il ne m'est pas permis d'être médiocrement,

Monsieur,

Votre très humble & très obéissant serviteur

de La Chaux
Pasteur des Eglises réformées de Nions,
Vinsabres & autres lieux

Si vous avez besoin de quelque éclaircissement sur le Mémoire ci-joint, mon adresse est à Monsieur Desplan, ancien capitaine d'infanterie à Nions en Dauphiné.