Ce 1er janvier [1777]
Mon cher et illustre maitre, j'ai reçu vos deux lettres.
Je trouve que Confucius a mieux défini La gravité d'un sage et La Rochefoucaud La gravité d'un sot. Cela vient peut-être de ce qu'à La Chine La gravité est La Contenance des sages, tandis qu'en France elle est le masque des sots. Je ne me souviens pas d'avoir vu en France un seul home grave qui ne fût pas un homme médiocre. Il en est sans doute autrement à La Chine.
Le journal de littérature ne fera point usage de votre lettre par pure modestie; Ce journal a un succès fort au dessous de son mérite. On trouve que M. de Laharpe parle de lui trop longuement et trop souvent, qu'il juge trop durement ses ennemis, qu'il loue trop Certaines gens. Le public n'est indulgent que pour les Linguet, il juge les gens de mérite avec rigueur; On achetait le Linguet en disant qu'il était détestable, on n'achète point le nouveau journal parce qu'il n'est pas absolument parfait.
Je vois que vous revenez un peu sur Jean Baptiste. J'en suis fort aise. Eh bien il a fait tout le bien qu'il a pu en faisant tout le mal qui Lui était nécessaire pour Conserver sa place. Il est demeuré au dessous de La fortune du Mis de Louvois, quoique celle qu'il a Laissée ait été immense. Je Conviens de tout cela, je Conviendrai même qu'à l'exception de quelques savans anglais dont le nom était inconnu en France, persone alors n'en savait plus que Colbert et que ses opinions étaient celles de son siècle. Mais il fut un tiran; et c'est assez pour ne jamais lui pardoner.
Je désire que L'année qui Commence soit moins désastreuse que Celle qui vient de s'écouler. J'ai vu Papillon Philosophe, il est fort aimable et vous aime à La folie. Adieu, je vous embrasse. Vous connaissez mon respect et mon tendre attachement. Je voudrais bien que L'année ne se passât point sans que je fisse un pèlerinage à Fernei.