17e xbre 1776
Nous vous envoions après boire, mon cher ami, un petit écrit qu'on vient de faire en sortant de table; et comme la vérité se trouve dans le vin, soiez très sûr qu'elle est icy.
Elle n'y est pas toute entière, parce que nous ne laissons pas d'être discrêts. Mais tout ce que vous y lirez est de la plus grande éxactitude.
Quand je vous dis que nôtre factum a été fait au sortir de table, ce n'est pas que j'aie été un des convives, car j'ai renoncé à tous les plaisirs pour jamais. Je suis bien tenté même de renoncer à Ferney avant de quitter la vie; et certainement j'irai mourir dans quelque autre solitude, si on persécute mon pauvre petit païs. Il est clair que Fabri était de moitié avec Bremond son commis et avec Roze son prête nom. Quand il s'est vu découvert il a travaillé habilement lui même à rompre le marché qu'il avait fait. Il n'y a pas un homme dans la province qui ne soit instruit de cette affreuse manœuvre. Nous n'en avons pas de preuves juridiques, parce qu'il n'y en a que dans un procez criminel bien instruit, mais nous en avons toutes les preuves qui convainquent toutes les honnêtes gens. Celà est très douloureux. Car d'ailleurs il est utile, laborieux, éxact; mais quand il s'agit de gagner un écu il sacrifierait un roiaume.
Ce que nous vous confions dans ce petit billet made Denis et moi, nous ne le disons qu'à vous seul dans l'amertume de nôtre cœur. Mais montrez nôtre mémoire signé à Mr Dupleix. Il ne faut pas qu'il détruise une terre devenue très considérable, et qui doit un jour vous apartenir. Si la Colonie de Ferney réussit Ferney vaudra trente mille Livres de rente; si on nous abandonne, Ferney ne vaudra rien et il y aura pour cinq cent mille francs de maisons absolument perdus. Pour moi j'irai mourir ailleurs.
En attendant, mon cher ami, je vous embrasse bien tendrement.
le vieux malade V.