à Paris hôtel de Nevers rüe d'Orleans st Honoré ce 28 7bre 1776
Monsieur,
Je suis désespére de ce qu'on vous à fait parvenir ma lettre décachetée.
Sachant combien vous êtes accablé de ports de lettres, à raison de vos correspondances avec l'Europe entière, je remis celle que j'eus l'honneur de vous écrire à un commis de la poste, pour qu'il la fit contresigner, frappé d'un nom aussi imposant que le vôtre, Il aura eu vraisemblablement la téméraire curiosité d'ouvrir le paquet. Je vous en fait mille excuses.
Permettez moi de profiter de cette circonstance pour vous représenter que le public connoissant vos talens supérieurs dans tous les genres, auroit désiré avoir de vous quelques Eclogues. Vous êtes le Virgile françois, et l'on a droit de vous faire cette demande. L'Eclogue est le seul genre que vous n'ayés pas traité; quoique vous ayés donné, Monsieur, plusieurs pièces fugitives qui en ont toutes les grâces naturelles et toute l'aménité.
J'ose joindre ici une petite pièce en prose sous le nom d'Allegorie qui vous exposera mes sentiments. L'exécution en eût été jolie en vers, mais ce ne seroit pas en votre présence, que j'aurais la témérité de rimer.
Vivez long tems, car le ciel vous ayant tout donné, c'est tout ce que l'on peut vous souhaiter. Il seroit à désirer, que vous prissiez l'habitude de prendre chaque jour après le repas une ceuillerée de sucre rappé. J'ai connu des médecins à Padoüe qui le conseilloient comme un sel balsamique dont la vertu étoit excellente à un certain âge. Le célèbre dr Moulin avoit toujours du sucre dans ses poches, et il disoit qu'il ne lui connaissoit d'autre deffaut que celui d'être trop cher. Je ne suis point médecin, mais chacun voudroit l'être pour prolonger vos jours qui seront bien plus longs que ceux de Fontenelle, si la longueur de la vie se mesure sur le génie.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur, avec tous les sentimens de respect, d'attachement, et de reconnaissance qui vous sont dus
votre très humble et très obéissant serviteur
Caracciolo