Ferney, 29 juillet 1776
Je me suis vanté, monsieur, à madame de St Julien de la lettre dont vous m'honorez, Le Kain est venu avec cette dame.
Il est vrai qu'un entrepreneur de spectacles, connu sous le nom de St Geran, a bâti une assez jolie salle de comédie dans Ferney même, et que cela donne l'air d'une petite ville assez agréable à un village affreux, qui était autrefois l'horreur de la nature. Me de St Julien, soeur de Monsieur le commandant de Bourgogne, a pris sous sa protection ma colonie de Ferney, et l'entrepreneur St Géran et moi. Elle a engagé Madame la princesse d'Hénin à demander Le Kain à la reine. Ainsi je vois mon village et moi honorés des bontés de la plus adorable reine de l'Europe, et de la plus aimable princesse de Flandres. Je n'en ai pas moins quatre-vingt-deux ans; je n'en suis pas moins accablé de maladies; je n'en vois pas moins de fort près la fin de tous les agréments de ce monde, et de tous les spectacles; je n'en suis pas moins en proie à tous les chagrins de la vie, lorsque je suis prêt de la quitter. C'est le sort de presque tous les hommes. Les amertumes sont partout, et poursuivent les gens jusqu'à leur dernier quart d'heure. La consolation la plus flatteuse est la bonté que vous daignez me témoigner. Que ne puis je, monsieur, jouir encore du bonheur de vous faire ma cour et vous renouveler les tendres assurances de mon très respectueux attachement!