1776-04-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean de Vaines.

Eh bien, monsieur, parmi les nouveaux édits que vous avez eu la bonté de m'envoyer, en voilà encore un de m. Turgot en faveur de la nation, c'est celui des forêts qui sont auprès des salines de franche Comté.
Ce ministre fera tant de bien qu'à la fin on conspirera contre lui.

Je l'ai importuné depuis quelque temps avec beaucoup d'indiscrétion; mais en qualité de commissionnaire et de scribe de nos petits états, je n'ai pu faire autrement. Je n'ai point exigé qu'il me lût. Je mets en marge de mes mémoires, Pays de Gex. Je le prie seulement qu'on fasse une liasse de toutes nos requêtes, après quoi il examinera un jour à loisir ce qu'il voudra accorder ou refuser. Cette manière de procéder avec le ministère me paraît la moins gênante et la plus honnête. Je tâche surtout d'être extrêmement court dans mes demandes, car il m'a paru que les présenteurs de requêtes sont presque toujours d'une prolixité insupportable, et s'imaginent qu'un ministre doit oublier le monde entier pour leur affaire. C'est peut-être cet ennui qui dégoûte m. de Malsherbes de sa place, mais il est bien triste qu'il songe à se retirer lorsqu'il peut faire du bien. Il me semble qu'en se joignant à m. Turgot pour refondre cette France qui a tant besoin d'être refondue, ils auraient fait tous deux des miracles.

Je n'ai jamais vu mlle D'Espinasse, mais tout ce qu'on m'en a dit me la fait bien aimer. Je serais très affligé de sa perte. Voici un petit mot pour m. D'Alembert, que je mets sous la protection de votre contre-seing.

Je ne peux, monsieur, vous envoyer que des balivernes, lorsque vous daignez me faire parvenir les ouvrages les plus utiles, mais chacun donne ce qu'il a.

Conservez moi, monsieur, vos bontés qui font le charme de ma solitude et de ma vieillesse.

V.