22e avril 1776
Mon cher ami, vous sentez bien que dans ma solitude je ne suis pas trop instruit de l'esprit qui règne parmi mes confrères; des prétentions des aspirans; des manœuvres qu'on emploie, et des brigues qui se forment.
On ne me mande rien de positif, on craint de se commettre. Je ne connais point Mr Millot, qui a, dit-on, un très grand parti. J'ignore si Mr De Laharpe fait valoir ses droits acquis par tant de prix remportés à L'académie. Je ne suis informé que de vôtre mérite.
J'avais écrit il y a quelque tems à Mr Gaillard. Je n'avais pas nui autrefois à sa nomination, il ne m'a pas répondu. Je commence à être plus négligé et plus ignoré qu'on ne le serait à la Martinique ou à St Domingue. Et depuis que je suis retiré du monde on ne s'y est guères souvenu de moi que pour me persécuter. Croiez moi, il n'y a rien de si aisé que d'être oublié. Vous ne le serez pas; vous réussirez toujours dans les belles Lettres et dans la bonne compagnie; vous serez de L'académie soit cette année, soit à la première place vacante, et quand vous en serez vous vous en dégoûterez, mais ne vous dégoûtez jamais de l'amitié que vous m'avez témoignée.
V.