5e avril 1776
Mon cher ange, ce vieux bonhomme vous fatigue de vers et de prose.
J'ai toujours un petit malheur, c'est que les choses les plus innocentes que j'écris, sont prèsque toujours défigurées, falsifiées, et deviennent de petits poignards dont on veut me percer. Je vous soumets la véritable Lettre que j'ai écrite au Roi de Prusse en dernier lieu, et dont malheureusement il a couru des copies très informes. S'il vous prend fantaisie de mettre cette copie véritable dans des mains sûres qui puissent en faire un usage agréable, je vous serai très obligé. On connaîtra deux choses, la manière dont je suis avec ce singulier monarque, et la manière dont je pense sur le tems présent. Qui sait si ces deux choses bien connues ne pouraient pas m'enhardir à faire quelque jour un petit tour à l'ombre des ailes de mon cher ange? Il serait fort plaisant, à mon gré, que je vinse dans ma quatrevingt troisième année vous embrasser en poste à la barbe des Pâquiers et des Seguiers. Il me semble que le maréchal de Richelieu n'a pas été traitté bien favorablement dans la cour des pairs. J'ai bien peur que les neveux de Made de St Vincent, et le Major, et les autres qui ont été emprisonnés à sa réquisition, et à ses risques, périls, et fortune, ne demandent de gros dommages, et de grandes réparations. Voilà une triste avanture. Le vainqueur de Mahon et de tant de belles femmes finit désagréablement sa carrière. Heureux qui sait rester en paix chez soi!
Serait-il bien vrai, mon cher ange, que l'auteur du portier des chartreux fût l'auteur du discours qu'a prononcé Mr D'Aligre? Ce portier n'aurait-il pas mieux fait de s'en tenir à la régle de St Bruno qui ordonne le silence?