1757-11-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Mon cher correspondant me voicy revenu à nos Délices.
Le diable m'y berce. Je vous y fais un jardin où vous et vos neveux vous vous perdrez. Si vous voulez y manger de bonnes pêches, de bonnes figues, de bons beuréz gris, souvenez vous du portier des chartreux. Seriez vous homme à m'envoier par la messagerie cinq douzaines de pitons dorez pour acrocher des estampes?

Je me flatte que vous avez reçu les 25000lt de la Leu pour subvenir à ces frais.

N'attendez vous pas ainsi que moy quelque rognure de nuestra señora del Pillar arrivée de Valparaiso avec dixhuit cent mille piastres?

Je ne suis que médiocrement intéressé dans cette affaire, mais elle paraît meilleure pour le genre humain que tout ce qui se passe aujourdui sur l'Elbe, sur l'Oder et sur la Sprée.

Les gens dont je vous parlais dans mes dernières lettres me paraissent toujours dans le plus grand désespoir, et se vantent de résolutions extrêmes, mais pour se consoler vous voyez qu'ils prennent tout l'argent qu'ils peuvent. Les héros ressemblent toujours par un coin aux voleurs de nuit, ils vont droit au coffrefort; après quoy ils étalent de grands sentiments. Je n'ay pas encor tiré bien au clair l'affaire de Berlin. Je ne sçai si le général Hadish aura pris dans cette ville autant d'argent que les prussiens en ont tiré de Leipsik.

Au reste je n'aurai de nouvelles des principaux personnages que dans un mois. On a été si occupé qu'on a fait un quiproquo en cachetant. On m'a envoyé une lettre pour une autre. Cette méprise pourait faire croire qu'on n'a pas l'esprit bien libre.

Interim buvez à ma santé, et ne me sachez pas mauvais gré d'avoir enlevé la belle Pictet à Geneve.

L'oncle et la nièce vous embrassent de tout leur cœur.

Pardon mais j'ay quelque souvenir que vous m'aviez flatté de deux caffetières du levant, l'une de trois tasses et l'autre de six. Pardon, pardon.