30 mars 1776
Vous me demandez, monsieur, ce que je pense sur le lit qu'on nomme de justice.
Je ressemble au roi comme deux gouttes d'eau. Je m'affermis dans mon goût pour les édits par les objections mêmes.
Je me souviens que lorsque Neuton au commencement du siècle nous montra comment la lumière est faite, ce que personne n'avait encore vu depuis la création du monde, quelques uns de nos mathématiciens voulurent faire ses expériences et les manquèrent; de là on jugea qu'un certain ouvrier nommé Neuton, artifex quidam nomine Neuton, s'était trompé. Mais bientôt après les expériences étant mieux faites, on dit, Fiat lux et facta est lux.
J'ose être persuadé que la même chose arrivera au parlement. Il sentira l'avantage de ces édits, et il les regardera comme le salut de l'état.
J'oserais croire que quand on a cité Henri 4, qui adopta les impôts sur les maîtrises et sur les corporations, à la fameuse assemblée des notables de Rouen, on n'a pas fait réflexion que toutes les taxes de ce genre, et celle du sou pourlivre, furent l'objet des railleries du duc de Sully. Il fallait comme vous savez condescendre aux idées de l'évèque de Paris Gondi, qui se croyait un grand financier, parce qu'il avait beaucoup d'argent, et qu'il n'en dépensait guère. Mr de Sully eut la malice de partager avec lui le fardeau de l'administration, et il se chargea des véritables objets de finance, et laissa à l'évêque tous ces petits détails. Mr de Sully réussit dans tout ce qu'il s'était réservé, et l'évêque au bout de six mois n'ayant pu recouvrer un denier dans son département, vint remettre au roi sa moitié de surintendance, et le supplier de le délivrer d'un poids qu'il ne pouvait porter.
Je vous avoue pourtant, monsieur, que l'ancienne proposition renouveléé par mr Seguier, de faire travailler les troupes aux grands chemins, m'a fait beaucoup d'impression. La mère du grand Condé dit dans une requête au parlement que son fils avait obtenu de ses soldats qu'ils travaillassent sans salaire à aplanir des chemins qui les conduisirent à des victoires.
Mr Seguier veut qu'on double leur paye. Je ne m'y connais point, et ce n'est pas à moi de juger le grand Condé. Je vous dirai seulement qu'en dernier lieu voyant la grande route de Gex à Genêve devenue une fondrière affreuse, je me suis joint à des gens de bonne volonté pour rendre le chemin praticable. Il est juste que ceux qui profitent le plus de l'agrément des belles routes y contribuent. Il est encore plus juste que ceux qui les gâtent les raccommodent. Je vois trois fois par semaine des chariots chargés de bois qu'on a volé dans les forêts du roi, enfoncer le terrain qui mène juste au bout du royaume. Je voudrais que les maîtres des charrettes payassent au moins le dégât, et qu'on fit comme tant d'autres pays où l'on a établi des barrières auxquelles les voitures payent le droit de gâter la route. Mais je suis Gros Jean qui remontre à son curé. J'aime bien mieux lui demander sa bénédiction, et je vous remercie tendrement, monsieur, de m'avoir envoyé son prône.