1772-09-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet.

L'abbé Pinzo, monsieur, écrit trop bien en français, il n'a point le style diffus et les longues phrases des Italiens.
J'ai grand'peur qu'il n'ait passé par Paris, et qu'il n'ait quelque ami encyclopédiste. Malheureusement sa position est celle de Pourceaugnac, Il me donna un soufflet, mais je lui dis bien son fait.

A l'égard du Système il faut s'en prendre un peu à mr le Roy dont l'équipée est un peu ridicule.

A l'égard des athées, vous savez qu'il y a athée et athée, comme il y a fagots et fagots. Spinosa était trop intelligent pour ne pas admettre une intelligence dans la nature. L'auteur du Système ne raisonne pas si bien que Spinosa, et déclame beaucoup trop.

Je suis fâché pour Leibnitz, qui sûrement était un grand génie, qu'il ait été un peu charlatan. Ni Neuton, ni Loke ne l'étaient. Ajoutez à sa charlatanerie que ses idées sont presque toujours confuses. Puisque ces messieurs veulent toujours imiter dieu qui créa, dit on, le monde avec la parole, qu'ils disent donc comme lui, fiat lux.

Ce que j'aime passionnément de m. d'Alembert, c'est qu'il est clair dans ses écrits comme dans sa conversation, et qu'il a toujours le style de la chose. Il y a des gens de beaucoup d'esprit dont je ne pourrais en dire autant.

Adieu, monsieur; faites provigner la vigne tant que vous pourrez; mais il me semble qu'on nous fait manger à présent des raisins un peu amers.

V.