27e juillet 1770
Premièrement mon cher philosophe ayez soin de votre santé.
Vie de malingre, vie insuportable, mort continuelle avec des moments de résurection. J'en sçais des nouvelles depuis plus de soixante ans.
2. Vous avez sans doute l'écrit du Roy de Prusse contre le sistème de la nature. Vous voiez qu'il prend toujours le parti de son tripot et qu'il est fâché que les philosophes ne soient pas roialistes. Je ne trouve pas ces messieurs adroits. Ils attaquent à la fois Dieu, le Diable, les grands et les prêtres. Que leur restera t'il?
Le sistême de la nature est trop long à mon avis. Il y a trop de répétitions, trop d'incorrections.
C'est apparemment pour ne pas paraitre écolier de Spinoza et de Straton qu'il n'admet point une intelligence éternelle répandue (je ne sçais comment) dans ce monde. Il me semble qu'il y a de l'absurdité à faire naitre des êtres intelligents du mouvement et de la matière qui ne le sont pas. Au moins le Roy de Prusse relève fort bien cette bizarerie.
Voylà une guerre civile entre les incrédules. Je connais une autre réfutation qui va (dit on) être imprimée. Nos ennemis diront que la discorde est dans le camp d'Agramant.
Touttes fois il faut que les deux partis se réünissent. Je voudrais que vous fissiez cette réconciliation, et que vous leur dissiez, Passez moy l'émétique, et je vous passerai la seignée.
Le Roy de Prusse ne me parle pas plus de certaine statue que de celle du festin de Pierre, ne luy avez vous pas écrit? Ne vous a t'il pas répondu?
Il ne me sied pas d'en parler à Catherinne l'héroine. Ce serait à Protagoras Diderot d'en écrire à cette amazone, mais surtout il faudrait dire qu'on ne recevra que peu. On doit ménager sa bourse que Moustapha épuise. Je ménagerai certainement celle de Jean Jaques; et je réprimerai l'orgeuil de Diogene. Je ne connais point de plus méprisable charlatan. Quelle différence de ces joueurs de gobelets à vous!
Je vous embrasse bien fort mon cher ami.
V.