1776-03-12, de Pierre Michel Hennin à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous qui n'êtes étonné de rien m. le serez peut être de me voir agent du Clergé du Pays auprès de vous, et qui plus est agent caché.
C'est sous le secret qu'on me prie de vous faire sçavoir que le clergé à résolu de demander la confection du cadastre et n'ose le faire de peur de déplaire aux Puissances du Pays. Il a de très bonnes raisons pour proposer ce plan si équitable, si naturel. Il est persuadé que dans ce moment cy où chacun va vouloir cacher sa fortune, c'est le seul moyen d'empêcher que le pauvre ne porte tout le faix de l'impôt. Je ne doute pas que le ministre ne vit avec plaisir vos petits états demander comme une grâce au Roy de faire cette opération sur les [ . . .] fonds. Quelqu'un à qui j'en ai parlé m'a fait une grande dissertation pour me prouver que le Pays perdroit à faire connoitre sa vraie valeur. Je suis convaincu qu'il n'y a que ce quelqu'un qui y perdroit. Le Clergé a été fort unanime pour le bien, et intra privatos parietes il s'est dit des choses curieuses, comme entre autres qu'on lève 25000 livres de Vingtièmes et que le Roy n'en touche guères plus de cinq. Vous sçaurez qu'on a engagé l'adjudicataire du sel à donner deux mille livres de plus à la Province si personne n'avoit rien dit. Autant de pris sur le peuple.

Il a été agité une grande question, savoir si les dimes sont réputées fonds, et on a décidé que si elles étoient mises au rang des fonds on payeroit.

On a prescrit aux Députés de demander les Comptes des Dettes de la province, de ses biens, de ses recettes annuelles, et d'aviser aux moyens de s'acquiter le plustôt possible de ce fardeau en y employant le produit du sel qui doit aller à dix mille livres par mille quintaux.

Je n'ai pas besoin M. de vous prier de tirer parti de ces avis, et d'éviter de faire connoitre de qui vous les tenez. Comme je n'ai aucune voix dans votre chapitre on seroit peut être fâché que je m'en mélasse, cependant, quand il s'agit de faire le bien de dix mille François je ne sais pas où est la loy qui ordonne à un François de se taire.

Avez vous nouvelle que M. d'Angevillér soit entré au conseil?

Recevez mes homages et l'assurance de mon dévouement.

H.