1776-01-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Gaspard Fabry.

Je puis vous assurer, Monsieur, que je n'ai jamais entendu parler du mémoire des douze notables dont vous faittes mentions dans vôtre Lettre d'hier.
Vous savez que je passe ma vie dans la plus grande solitude. Je ne sors de ma chambre que pour aller manger un morceau avec Made Denis. Je lui ai demandé en général si elle avait jamais entendu parler d'un mémoire signé par douze personnes à Gex; elle n'en a pas eu la moindre connaissance.

Je reçus hier, Monsieur, une Lettre de Mr de Fargès, Intendant des bleds du roiaume, de la part de Mr Turgot. Il me mande comme Mr De Trudaine que la déclaration du Roi doit être actuellement entre les mains du parlement de Dijon. Je crois qu'il ne sera pas difficile à Mr L'Intendant et à vous, Monsieur, de faire contribuer tous les habitans du païs de Gex, puisque tous les habitans profiteront de la liberté qu'on leur donne. Un tel arrangement est si juste que je ne vois pas comment on pourait s'y refuser. J'en dirai un petit mot en qualité de commissionaire des états.

Je souhaitte à la Société La Gros un plein succez, qui vous épargnerait bien des embarras et des difficultés. Vous savez d'ailleurs que je suis entièrement à vos ordres.

J'ai l'honneur d'être avec un respectueux attachement, Monsieur, Vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

P. S. J'aprends, Monsieur, que malgré les ordres précis donnés par Mr Le controlleur général à la ferme, de retirer sans délai leurs emploiés du païs de Gex, ils ont pourtant encor l'insolence de saisir et de conduire en prison, tous ceux qu'ils rencontrent avec des marchandises permises. Cette abominable tirannie n'est pas concevable. Nous paions Trente mille francs à la ferme du 1er janvier, donc, nous sommes libre du 1er janvier. Donc, on ne doit regarder que comme des assassins les scélérats qui à la faveur d'une ancienne bandolière viennent voler sur les grands chemins et dans les maisons, les sujets du Roi. Il me semble qu'il faut faire sortir de prison ceux qu'on y a si injustement conduits hier, et y mettre à leur place les coquins qui ont osé les arrêter.