10e 8bre 1775
Voilà votre situation, mon cher ami; voilà ce que doivent penser tous vos amis de l'académie. Vous aurez encor quelques malheureux contradicteurs jusqu'à ce que vous donniez vous même les prix que vous avez tant de fois remportés. Heureusement vôtre courage est égal à vôtre génie. Mr D'Alembert a passé par les mêmes épreuves. Je ne sçais quel polisson de St Médard l'a appellé Rabsacès et bête puante, et voiez, s'il vous plait, comment L'abbé d'Aubignac, prédicateur ordinaire du Roi, a traitté Pierre Corneille. Vous m'avouerez que ces éxemples sont consolants.
Avouez moi encor que les noms de Monsieur de Malzherbes et de Monsieur Turgot, ont un peu plus de poids dans la balance que ceux de vos petits ennemis.
Je m'imagine que vous les oubliez bien dans vos agréables orgies, avec un homme tel que Mr de Vaines, avec Messieurs d'Alembert, Suart, Saurin etca. Soiez sûr que vos détracteurs n'aprochent pas de la bonne compagnie. Je me flatte que l'hiver prochain la Siberie et la Perse, vous vengeront pleinement des insectes de Paris; leur bourdonnement ne sera pas entendu parmi les battements de mains. Je suis bien fâché d'être si vieux et si faible. Si je pouvais revenir à l'heureux âge de soixante et dix ans, avec quel empressement ne ferais-je pas le voiage de Paris pour vous entendre! Vous allez relever le théâtre français tombé dans une triste décadence. Il me semble qu'il se forme un nouveau siècle. Les petites persécutions que la saine Littérature essuie encor, ne sont qu'un reste de la fange des derniers tems. Elle ne vient point jusqu'à vous, malgré le trépignement de l'envie. Vous vous élevez trop haut.
Ne pouvant voir la première représentation de Menzicof, j'y enverrai un jeune homme qui aime vos vers passionnément, et qui m'en raportera des nouvelles. Mais si l'hiver me tue avant les représentations, je vous prie très instamment de me succéder, et de dire nettement à l'académie que telle est ma dernière volonté, et que je la prie très humblement d'être mon exécutrice testamentaire.
V.