1775-08-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet.

Oh la bonne chose, la raisonnable chose, et même la jolie chose que la Lettre au prohibitif! Celà doit ramener tous les esprits, pour peu qu'il y ait encor dans Paris de bon sens et de bon goût.
Je ne puis assez vous remercier, Monsieur, d'avoir bien voulu me faire parvenir cet excellent ouvrage. C'est à mon gré un service essentiel que vous rendez au bon goût et à la patrie. Le livre que vôtre Picard foudroie me parait ressembler en son genre, à la Henriade de Fréron et de La Beaumelle. La seule différence est que l'une est une sottise de gredins, et l'autre une sottise de Trimalcion.

J'ai craint un moment que le mémoire de mon jeune homme ne déplût à quelque ministre, mais j'aprends que mes terreurs étaient mal fondées. Aureste, il ne demande rien, il s'est contenté de dire la vérité. On ne peut assurément lui en savoir mauvais gré.

Voilà un terrible fou que cet homme qui veut exterminer l'enciclopédie. Il n'y a qu'un homme en France aussi insolent que lui, et c'est son frère.

Continuez, mon cher et respectable philosophe, éclairés le genre humain dans tous les genres, tâchez que Raton meure en paix, et puisse t-il avoir le bonheur de vous voir avant de mourir.

V.